En fait, tout tient parfois à un mot (ou deux dans le cas présent) : Dieu et narrateur.
Car après un premier chapitre tout à fait savoureux qui propose un réinterprétation déjantée de la genèse, à travers le regard de ce démiurge cynique et méchant, la "parole de Dieu" est en fait assez minoritaire dans la narration. Certes, il y a quelques chapitres qui lui laissent la parole, mais ce que proposent Jean-Marie Laclavetine et Philippe Chauvet n'est absolument pas, comme je me l'imaginais, une critique de notre société à travers le regard de cet hypothétique Dieu. Port-Paradis est en fait un polar des plus classiques.

Anne habite depuis toujours un petit village, qu'elle a rebaptisé Nulle-part, et elle s'y ennuie à mourir. Quand elle a épousé Simon, le garagiste, ils avaient tous deux en projet de faire le tour du monde. Mais la vie et ses aléas en ont décidé autrement. Alors Anne trompe l'ennui comme elle peut, et notamment en tournant la tête à tous les hommes du patelin. Mais voilà que ces derniers jours, deux morts mystérieuses font parler au village....
Une petite bourgade, une belle femme mariée à un garagiste, des meurtres... le parallèle avec l'Été meurtrier est immanquable.

Les auteurs alternent les focalisations à chaque chapitre, et l'on a donc une vision parcellaire du déroulement de l'intrigue. D'un côté, Anne met en avant tous ses atouts pour tenter de séduire Fred, l'apiculteur solitaire. De l'autre, Simon, son mari semble anéanti par l'éloignement de celle qu'il chérit. Et puis il y a Niels, un hollandais débarqué au village qui épie tout le monde. Et bien sûr, Dieu himself qui a jeté son dévolu sur Anne et ne supporte pas qu'un homme s'en approche d'un peu trop près.

Si je me suis laissée prendre au début, j'ai malheureusement percé assez vite l'identité de ce fameux Dieu et, ma foi, dans ce type de roman, quand on sait qui est qui, l'histoire n'a, du coup, plus beaucoup d'intérêt. Dommage car je confirme que l'idée de départ était séduisante.

Du même auteur : Première ligne

Laurence

Extrait :

Un matin je battis le rappel de tous les homoncules. Et gare à celui qui n'obéirait pas! De partout commencèrent à converger vers moi en maugréant les longues files des races et des engeances. J'imposais le silence, et me mis à parler. Je leur rappelai leur histoire, leur brève, leur lamentable histoire. Ils avaient troublé ma paix, ils avaient offensé mon génie et mon autorité, et j'avais décidé de sévir.
Saisissant la bille, objet de leurs convoitises, je proclamai de ma voix la plus effrayante :
- Vous l'avez désirée, vous l'avez rêvée, vous l'avez voulue. Vous vous êtes battus pour elle. Vous l'avez idolâtrée. Eh bien je vous le donne ! Je vous le donne à tous et à chacun. Puissiez-vous y vitre intelligemment et ne plus jamais troubler ma divine sieste!
Et d'un geste, je transformai la multitude contrite de mes créatures en une impalpable poussière, dont le nuage forma autour de moi de gigantesque volutes, avant de se concentrer en tornades de plus en plus fines, s'abattant sur la bille colorée qui les engloutissait. [...] Je pouvais maintenant rattraper le sommeil perdu.


Éditions Gallimard - 190 pages