Francis Crozier, commandant du Terror, est le second de l'expédition. C'est à travers son journal que nous sommes témoins de cette expédition dans laquelle l'Empire a investi toute sa confiance et son sens du grandiose. Témoins des doutes du marin, des moments d'espoir, de son amour aussi, pour la belle Sophia, qu'il a laissé derrière lui en Angleterre. En parallèle, nous suivons aussi les mésaventures mondaines de ladite Sophia et de lady Jane (la femme du commandant Franklin), femmes restées derrière mais dont les pensées suivent les marins. Elles pensent aux hommes partis, mais elles ne sont pas en attente pour autant. Il s'agit de deux personnages forts, décidés, des femmes impressionnantes, féministes avant la lettre pourrions-nous dire.

L'histoire nous a appris que cette expédition (véridique) est un échec. Ce n'est donc pas dans son dénouement que ce livre tire sa force, c'est plutôt dans sa complète singularité. Les narrations se succèdent (journal de Crozier, narration traditionnelle du périple, narration de la vie de lady Jane et Sophia, dialogues entre deux matelots, etc.). S'y ajoutent divers éléments un peu comme un scrapbook (carte du ciel, recette de plum-pudding, extraits de théâtre, etc.). Singulier objet que ce roman... et passionnant.

Ce roman a plusieurs grandes qualités: très bien écrit, il fait aussi place à une émotion très subtile. Au premier abord, l'approche me semblait assez descriptive et pragmatique et l'émotion finit par surprendre. J'ai été soudain prise par l'angoisse qui montait en moi... comme un piège de glace qui se referme. Chapeau bas aussi pour le double ton de ce roman: un humour mordant qui critique la société victorienne et la difficile angoisse de ces hommes pris dans les glaces.

Mes petites critiques sont assez ténues. Par moment, certains des éléments ajoutés m'apparaissaient moins essentiels. D'une part, ça fait le charme de l'objet, d'autre part, ça ne fait pas nécessairement avancer le récit (on reconnaît la reine de l'efficacité en moi ici!). De plus, je n'ai aucune patience pour les lettres manuscrites dont je n'arrive pas à déchiffrer la calligraphie.

Des broutilles donc, parce que ce roman me semble un excellent premier ouvrage. Original et unique.

(pour info : ce roman est disponible en France à la Librairie du Québec. Votre libraire peut le commander pour vous)

Par Catherine


Les critiques qui suivent ont été mises en ligne le 01er juillet à la suite du "Prix Biblioblog 2009"


Voici une histoire que j'ai grandement apprécié.
Déjà parce qu'elle ne m'était pas inconnue, ayant lu Terreur de Dan Simmons qui traite du même sujet. Ensuite parce que j'ai aimé le style de l'auteur et sa manière d'aborder la chose, même si je regrette la place donnée « aux femmes » dans l'histoire et le peu de matière que nous avons sur l'expédition elle-même.
Évidemment, je n'ai pu m'empêcher de comparer les deux romans et, si ce roman n'est pas mon préféré de la sélection, cela tient sans doute au fait que le lecteur n'est jamais associé à l'histoire. Il reste tout le temps spectateur de ce qui se déroule sous ses yeux, contrairement au roman de Simmons où le lecteur est pleinement acteur de l'histoire, vivant avec l'équipage la lente agonie d'un prisonnier des glaces et la terreur d'être livré seul à son sort.
Je crois que c'est ce qui m'a sans doute le plus gêné. N'être que spectateur de ce roman historique et devoir supporter l'incessant babillage de ces dames de la haute société.

Cœur de chene

Encore une belle découverte que cette histoire d'expédition polaire. J'ai apprécié le travail documentaire effectué par l'auteur qui fait qu'elle est tout à fait crédible, bien amenée. Le lecteur n'est pas assommé par les données techniques. J'avoue humblement n'avoir pas tout compris des exposés scientifiques sur le magnétisme mais qu'importe. Tout ceci est très bien relaté et l'expédition est très agréable à suivre.... lové dans son fauteuil bien au chaud. J'ai aimé le contraste entre la vie festive, les mondanités des femmes des explorateurs restées à Londres et celle pleine de risques, de rigueurs que vivent les hommes coincés dans leur bateaux au milieu des glaces.
J'ai évidemment ressenti plus d'empathie pour F. Croizier qui m'a semblé avoir l'esprit le plus ouvert. Il s'est réellement intéressé aux habitudes, au mode de vie des esquimaux qui leur ont sauvé un temps la vie. De l'art de s'adapter à son environnement. Pourquoi donc ne pas les avoir imités ? L'expédition était déjà bien engagée quand je me suis posée la question suivante : est-ce que les gens de cette époque avaient déjà et réellement des notions d'écologie, de respect de l'environnement ou bien les réflexions que l'on trouve par-çi par-là dans le récit n'est que la touche de l'auteur. Car il est de bon ton de nos jours d'avoir de telles interrogations. On peut comprendre que le Capitaine Croizier y songe pour des raisons sanitaires ou plus encore le médecin... mais bon. Peut être que je cherche trop la petite bête !!
J'ai bien aimé le mélange – narration/journal qui rend l'expédition plus proche, plus personnelle. Comme si le lecteur du fonds de son fauteuil était un peu membre de l'un des équipages. Cela accentue aussi le décalage entre les rudes conditions de vie des explorateurs et la « frivolité » de la vie mondaine à Londres. Contraste saisissant au possible.
Une plaisante lecture. On aurait vraiment aimé que l'expédition réussisse et que ces hommes aventureux s'en sortent.

Dédale

S'il n'est pas très original d'adopter deux points de vue différents pour raconter une histoire, ce procédé est très adapté à la situation du roman. Cela dit, encore fallait-il penser à raconter non seulement la débâcle de l'expédition mais aussi l'angoisse des proches de ses chefs. Ce qui se passe à terre est au moins aussi intéressant que ce qui se passe sur la banquise.
Le roman est vraiment très bien écrit. Notamment grâce au caractère multiforme du roman, cette écriture trouve à exceller de bien des manières et exprime moult humeurs des personnages. On pourrait redouter de n'avoir à lire qu'un agrégat, un pot-pourri. Si c'est loin d'être le cas — les divers éléments sont liés, j'ai trouvé qu'un peu plus de colle n'aurait parfois pas été de trop. En particulier, on peut facilement se perdre entre les noms des différents personnages secondaires : officiers, chirurgiens... J'aurais souvent préféré des portraits plus détaillés aux allusions aux traits de caractère des uns et des autres.
Malgré mon inclination pour les mathématiques, je n'ai pas vérifié les calculs trigonométriques.

Joël

Je suis passée à côté de ce roman, et je ne sais pas vraiment expliquer pourquoi. Il y avait pourtant tous les ingrédients qui auraient dû en faire une lecture captivante : le style soigné de Dominique Fortier, les références historiques, l'épopée incroyable de ces hommes dans le grand nord. Mais rien n'y a fait. J'ai lu cette histoire, sans passion ni tension. J'ai glissé sur les pages, imperméable aux émotions qu'a tenté de communiquer l'auteure et je suis parvenue à la dernière page sans plaisir ni douleur. Étrange...

Laurence

Pour une férue d’histoire comme moi, ce livre a été un vrai bonheur de lecture. Construit sous la forme d’un dossier d’enquête, ce roman mélange avec brio divers genres littéraire. On passe d’un journal intime à un journal de bord, puis à une narration à la troisième personne, en passant par des extraits de journaux et des recettes de cuisine, mais également des dialogues, comme sortis de nulle part. C’est un choix très judicieux qui permet de donner beaucoup d’information qu’il aurait été malaisé d’insérer dans la narration.
Le récit se construit quand même principalement sur une alternance entre la narration de la vie sur le navire, que l’on découvre surtout par le biais du journal intime de Crozier, et le récit de la vie à Londres, racontée à la troisième personne et suivant le point de vue de la femme du capitaine d’un des deux navires. Cette dernière partie du récit décrit la bonne société victorienne et ses travers de façon assez mordante et avec un ton des plus incisifs et des plus drôles. Par opposition à ce ton mordant et cette satire de la société, la vie sur les navires explorateurs telle que racontée par Crozier dans son journal est pleine d’émotions et de poésie. Autant la narration à Londres amuse, autant les extraits du journal de Crozier m’ont beaucoup touchée et sa sensibilité m’est allée droit au cœur. Ce livre est par ailleurs très intéressant d’un point de vue historique, car bien que n’entrant pas complètement dans les détails de cette malheureuse expédition, il est tout de même basé sur des faits réels. J’ai beaucoup apprécié cette « introduction » à l’histoire de ces explorateurs. Elle m’a donné envie d’en savoir plus sur la vie sur le bateau prisonnier des glaces… Une très très belle découverte donc !!!

Pimpi

Ce roman (avec La vieille anglaise et le contient) tranche avec le reste de la sélection. Épisode historique et tragique, Dominique Fortier décrit les périples de l’expédition prises dans les glaces de l’Arctique, récit entrecoupé par la vie de celles qui sont restées à terre. J’avoue que ce mélange ne m’a pas complètement convaincu. Ce va et vient entre Arctique, Angleterre et souvenirs en Tasmanie m’a paru par moment artificiel. J’aurai préféré (mais ce n’est que mon impression de lecteur) qu’on s’attache plus à la vie sur le bateau, à ce huis-clos terrible qui frappe les aventuriers. De bons éléments, mais une trop grande hétérogénéité pour emporter une adhésion totale.

Yohan


Extrait :

Le soleil a baissé jusqu'à toucher la terre, et le ciel s'est brièvement empli des couleurs de l'arc-en-ciel. L'énorme boule de feu a basculé par-dessus l'horizon dans des replis rouges et orange tandis que plus haut les nuages ourlés de dorures se teintaient de pourpre, de bleu, de vert. J'ai été curieusement ému de ce spectacle auquel j'avais l'impression d'assister presque en voyeur, peut-être parce que j'étais seul à le contempler.

L'astre a disparu et j'ai tourné les talons pour rentrer. Pour dire le vrai, j'ignore ce que j'allais chercher au cours de cette longue marche, et je ne saurais dire si j'ai cru l'avoir trouvé ou me suis résigné  ne point le découvrir, mais je suis revenu habité d'une sorte de sentiment de paix qui a peut-être davantage à voir avec la fatalité. Sans doute l'homme qui n'a plus rien à perdre et qui le sait est-il infiniment plus libre que celui qui craint à tout moment de voir son bonheur, sa richesse, sa vie lui échapper.


Éditions Alto - 344 pages