Divisadero (titre que je n'ai décidément jamais pu prononcer correctement) est l'histoire d'une famille de Californie. Anna, Claire et leur père vivent dans leur ferme. Après l'assassinat de ses parents, Cooper, seul rescapé est adopté par le père. Peu à peu, il va devenir le grand frère des deux filles, leur confident. A l'adolescence, les choses se compliquent. La passion va bouleverser ce petit monde bien tranquille. Anna et Coop tombent amoureux. Quand le père découvre le poteau rose, le drame survient. Coop s'enfuit, Anna manque de peu de tuer son père. Ce dernier l'éloigne de la ferme mais elle réussit à s'échapper et disparaît totalement. Claire reste avec son père, devenu encore plus rude et silencieux.
Au fil des pages, on va suivre les vies des trois enfants devenus adultes, de leurs parcours chaotiques à leur façon. Coop est devenu joueur de poker. Claire travaille dans un cabinet d'avocats à San Francisco et Anna mène en France des recherches sur un poète, Louis Segura.
Si leurs vies suivent leur cours, ils sont toutefois tous marqués par les évènements qui ont marqué leur enfance. Comme le souligne Michael Ondaatje, : Car nous vivons dans les rappels de notre enfance qui se fondent et se répercutent tout au long de notre existence à l'instar des éclats de verre qui, dans les kaléidoscopes, réapparaissent sous de nouvelles formes....
Ils semblent tous hors du temps, hors de tout. Ils vivent comme détachés du monde, des gens qui les entourent, comme s'il leur manquait la part des deux autres. Étrange impression !
Divisadero c'est deux romans en un. Telle est la structure choisie par l'auteur. Autant la première partie fonctionne très bien, la vie à la ferme avec Claire, Anna et Coop sous la tutelle du père, rude et solitaire, la naissance du sentiment amoureux, les élans que l'on vit à l'adolescence, autant on a du mal à raccrocher le wagon de la seconde, Anna en France. Cette dernière me semble n'être que le prétexte pour partir sur les traces d'un poète. Cela aurait pu tenir à la longue mais plutôt en deux romans bien distincts. Ici, on finit par s'y perdre. Où se trouve le rapport entre les deux parties. Anna ? Mais elle finit par disparaître totalement au profit de la vie du poète.
Le seul point commun que l'on pourrait trouver serait peut-être le fait que tous les personnages, Louis Segura lui aussi, sont des passionnés, des taiseux et qu'ils souffrent tous d'avoir perdu un amour d'enfance, de n'avoir pas pu le vivre pleinement. Même s'ils le retrouvent plus tard, la fracture a laissé de profondes traces.
Malgré d'indéniables qualités d'écriture, j'ai eu du mal à rester longtemps attentive. Je n'ai pu avancer dans la lecture qu'à la faveur d'un trajet de train. Je suis restée sur ma faim. Je veux pourtant me raccrocher aux quelques passages, ces pétites qui sèment cette histoire. Des moments d'une rare beauté.
Divisadero, du mot espagnol pour « division », la rue qui autrefois marquait la séparation entre San Francisco et les champs du Presidio. A moins qu'il ne dérive du mot divisar, « distinguer ». Il y a une colline proche appelée El Divisadero) Donc, un endroit d'où le regard porte au loin.
Telle est la signification du titre donnée par l'auteur par la voix d'Anna.
Finalement, je suis restée sur la colline, ai vu au loin à la faveur de quelques belles éclaircies. Mais la brume s'est vite refermée sur les personnages. Dommage, dommage.
Dédale
Extrait :
Sur la roue de San Francisco, Claire prit la main de Coop.
Je veux que tu viennes voir mon père.
Ton père... pourquoi ?
Il t'a élevé, Coop. Il est vieux maintenant. Si vieux. Depuis ton départ, et depuis celui de ma soeur, il ne parle pratiquement plus. Pas même à moi. Il s'est muré dans la solitude. Je voudrais que tu le voies.
Je ne le connais pas;
Lui, il voudra te voir, Coop. Et puis, il faut que tu fasses tes adieux. C'est peut-être important pour toi.
Elle ne tenait pas à lui fournir d'avantage d'explications, car elle savait combien cette rencontre risquait d'être terrible, violente même. A moins qu'elle ne soit miséricordieuse. Ou ne brise de nouveau le codeur de son père. Tout était possible. Mais il y avait eu un tel gâchis. Elle n'avait plus qu'un père distant, et puis Coop, dans cet état, un enfant qui ne se souvenait de rien. Elle désirait replier comme une carte les deux moitiés de sa vie. Elle imaginait son père, devant le champ de maïs, sa barbe blanche mouchetée par les ombres des longues feuilles vertes, un homme rude et solitaire, pleurant les membres de cette famille qu'il avait eue puis perdue – sa femme en couches, l'enfant orphelin de ses voisins, et puis Anna qu'il avait sans doute aimée plus que tout, perdue à jamais pour eux tous. Il ne restait qu'elle, Claire, qui n'était pas de son sang, la fille en plus qu'il avait ramenée de l'hôpital de Santa Rosa.
A San Francisco, ils franchirent le Golden Gate Bridge et continuèrent vers le nord, puis ils quittèrent l'autoroute et empruntèrent une petite route jusqu'à Nicasio. Là, elle déclara qu'elle était fatiguée et elle demanda à Coop de conduire. Ils repartirent et ils arrivèrent bientôt devant l'arbre tordu qui avait poussé sur le gros rocher près du réservoir. La voiture s'engagea sur la route qui serpentait au milieu des collines, bordée d'un côté par de gigantesques peupliers. Elle se mordit la langue et regarda par la vitre en feignant un air indifférent. Arrivé en haut, une main négligemment posée sur le volant, Coop braqua à droite et prit le chemin de terre qui aboutissait à la ferme. Il coupa le moteur et ils descendirent en roue libre entre les clôtures. Ils passèrent sur le ralentisseur fait de vieux pneus, et Claire vit son cheval s'approcher de la barrière, tandis que Coop, à travers le pare-brise, contemplait son ancien monde.
Éditions de L'Olivier - 305 pages
Commentaires
mercredi 17 décembre 2008 à 13h45
Ne ratez pas Le fantôme d'Anil (L'olivier). C'est d'une force incroyable. Et il y a une scène de rêve que je vous laisse découvrir mesdames qui vous maquillez...
mercredi 17 décembre 2008 à 21h45
Et si on ne se maquille pas, on peut tout de même ??
Ok, le titre est noté, Christian. Merci pour l'info et la visite.
jeudi 18 décembre 2008 à 09h03
Je me souviens avoir appréciéla version papier du Patient anglais mais m'être dit qu'il valait mieux avoir vu le film pour comprendre le style littéraire... D'un paragraphe à l'autre, on passe d'une époque à l'autre... D'un chapitre à l'autre, on passe d'un personnage à l'autre...
Quoi qu'il en soit, si vous avez apprécié le film, je vous conseille le livre !
jeudi 18 décembre 2008 à 19h14
Même si on ne se maquille pas. Par contre parfois faut se boucher le nez !
vendredi 19 décembre 2008 à 22h22
Miss Alfie, on retrouve ce style là dans Divisadero : "D'un paragraphe à l'autre, on passe d'une époque à l'autre... D'un chapitre à l'autre, on passe d'un personnage à l'autre..." Faut arriver à suivre.
Je note le roman : Patient anglais pour me faire une idée.
Christian : dans ce cas, je le lirai, peut être, en été pour pouvoir ouvrir les fenêtres
lundi 22 décembre 2008 à 05h02
J'ai aimé "Le patient anglais" (le livre... j'ai vu le film mais je n'ai pas vraiment de souvenirs de l'histoire telle que vue au ciné) alors j'étais bien tentée par ce roman du même auteur. Par contre, avec ce qui est dit ici, je sens que ça ne me plaira pas nécessairement... Passons donc!
lundi 22 décembre 2008 à 13h42
Karine, tu as raison de "passer" si tu ne sens pas bien cette histoire. Parfois, faut laisser mûrir dans un coin