Désireux de ne pas décevoir son Dieu (c'est ainsi qu'il appelle le PDG de son entreprise), Sylvain Vasseur acquiesce, et pire, se met à croire à son potentiel livresque. Dès le lendemain, lors du pot d'adieu, il répond avec beaucoup de sérieux à une interview pour la revue de l'entreprise : il écrira un roman de science fiction métaphysique ! Un roman ambitieux, novateur, du jamais vu, foi de Vasseur. Et qu'importe s'il n'a jamais écrit une ligne en dehors de ses heures de travail. Après tout, être écrivain ne doit pas être très sorcier : il suffit de revêtir l'habit, de prendre les habitudes des grands et le reste se fera tout seul. D'autant que son ex-président a décidé de lancer une véritable campagne de presse pour lancer son petit protégé. En fait, il ne manque qu'un infime détail à Sylvain Vasseur pour faire carrière : un texte digne d'être publié.

Dans Le vertige des auteurs, Georges Flipo s'amuse à dévoiler une partie du petit monde de la littérature. C'est avec une plume mordante et acérée qu'il déroule les situations sordides auxquelles est confronté son apprenti scribouilleur : du concours de nouvelles qui ne compte que 13 participants, aux lettres de refus stéréotypées qui laissent espérer, en passant par le gérant cynique du magasin de photocopies ou le soit-disant éditeur qui réclame une participation pour la publication du manuscrit, tout le parcours de ces aspirants à la gloire littéraire est détaillé, disséqué, moqué.

Il faut dire aussi, que le protagoniste du Vertige des auteurs est du pain béni. Car ce qui est le plus remarquable dans ce pamphlet, c'est que Georges Flipo a décidé de mettre en scène l'anti-héros par excellence : Sylvain Vasseur est vraiment un pauvre type, un médiocre dans toute sa splendeur, dénué du moindre talent. Mais son principal défaut est de se croire génial. Son incapacité à écrire n'a d'égal que son orgueil démesuré. Sylvain Vasseur est persuadé qu'il est Le Futur Grand Écrivain, méconnu pour le moment certes, mais destiné à un brillant avenir. Qu'importe s'il ne remporte pas un seul concours de nouvelles ; si il n'arrive pas à aligner plus de deux phrases ; si les lettres de refus s'accumulent sur son bureau ; si ses amis et sa femme se détournent peu à peu. Lui le sait, il sera édité et côtoiera le grand monde. Car en fait, Sylvain Vasseur ne veut pas réellement écrire, il veut surtout être connu et reconnu. Au fil des pages, il devient de plus en plus pitoyable et le lecteur assiste, avec un certain sadisme assumé, à sa déconfiture.

En fait, Le vertige des auteurs n'est pas tant une critique du monde littéraire qu'un véritable brûlot sur tous ces écrivaillons qui se persuadent d'être des Hugo en puissance. Si le parcours de Vasseur est si exemplaire, c'est bien parce qu'il n'a aucun talent, et ce n'est pas étonnant que le seul éditeur qui s'intéresse à lui, lui demande en fait de financer sa publication. Voilà un roman que j'offrirais bien à certains plumitifs... mais à l'image du héros de ce roman, il n'est pas sûr qu'ils se reconnaissent, tant certains sont persuadés d'apporter leur pierre à la Littérature Française. En tout cas, une chose est certaine, n'offrez pas ce roman à un ami qui se rêve écrivain, au risque de vous fâcher définitivement avec lui. :) Par contre, si vous avez envie, le temps d'une lecture, de vous moquer avec jubilation de tout ce petit monde, Le vertige des auteurs, concentré d'humour noir, ne devrait pas vous décevoir et je vous invite prestement à le lire.

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Du même auteur : Heureux qui comme Ulysse, Le film va faire un malheur

Laurence

Extrait :

- Le président n'est pas là ?
Lise Fitz avait répété sa question, exactement sur le même ton : peut-être devait-elle, comme dans un conte, provoquer à la troisième tentative la réapparition de Delorgey.
- Il a dû partir en urgence sur le terrain, mais c'est Sylvain Vasseur que vous cherchez, je suis Sylvain Vasseur.
Il avait dit ça avec une grave simplicité, comme il aurait dit : « Je suis le Prix Interallié. »
Lise Fitz échangea quelques mots à voix basse avec Miranda. Elle mit en marche son petit enregistreur, Miranda sortit son Nikon. Le cœur de Sylvain battit plus vite. Il allait donner sa première interview. Tous avaient fait silence et l'entouraient, attentifs. C'était un peu gênant, de déballer des choses aussi intimes, publiquement, tout à trac, devant...
Et Sylvain pensa que c'était là un excellent début :
- C'est un peu gênant, de déballer des choses aussi intimes, publiquement, tout à trac, devant des collègues qui sont d'abord des amis. Des amis à qui j'ai tu pendant si longtemps ce, cette...
Sylvain comprit alors qu'il aimerait toujours donner des interviews. Lui, qui débutait, il venait de découvrir, dès la première minute, une technique extraordinaire : dire ce que l'on pense, ce qui vous vient à la tête, se dénuder face à l'intervieweur. Sylvain sentit qu'il serait extrêmement doué comme interviewé. Parler de son métier, parler de lui, ce serait toujours pour Sylvain la part la plus noble de sa vocation d'écrivain, il en était sûr.
- Alors, Sylvain Vasseur, vous nous quittez pour écrire, qu'est-ce que vous écrivez ?
Lise Fitz l'avait appelé Sylvain Vasseur, comme le font les journalistes lorsqu'ils interrogent un grand écrivain. Le prénom et le nom. Alors, Patrick Modiano, qu'est-ce que vous écrivez ? Alors, Philippe Sollers, qu'est-ce que vous écrivez ? Il en fut bouleversé. C'était donc si facile de devenir écrivain ! Ce qui était moins facile, c'était de répondre à la question. Il ne l'avait pas préparée. Patrick Modiano ou Philippe Sollers, eux, l'auraient sûrement préparée.


Éditions Le Castor Astral - 273 pages