Dans Une chambre à soi, Virginia Woolf explique avec force exemples à l'appui, pris dans le quotidien des femmes du XVI au XIX siècle et les écrits de grandes plumes féminines (Jane Austen, Charlotte et Emily Bronté, Georg Eliot, Dorothy Osborne, Mary Carmichaël..etc), ce qu'elle estime comme les deux conditions nécessaires pour que les écrivains féminins s'expriment plus librement : une certaine indépendance financière, et « une chambre à soi », à savoir un espace isolé où le travail de réflexion et de créativité peut s'effectuer librement.

Elle explique également comment les femmes ont été depuis toujours dans l'impossibilité de créer de quelque manière que ce soi et notamment par le roman ou la poésie, placées qu'elles étaient sous l'emprise financière et intellectuelle des hommes. Même les riches duchesses ou personnes de la bonne société étaient qualifiées de (légèrement) folles quand elles se piquaient d'écrire trois vers.
Il est évident qu'une femme aura du mal à écrire quand elle a charge d'une maison, d'une famille, et que si, par chance elle dispose d'un peu de bien, elle doit en référé toujours à son époux, son père ou son frère. Ou trouver des sujets de romans quand votre quotidien se limite à élever les enfants que vous aurez eu avant votre vingt et unième année ?

Je n'entrerai pas dans le détail de son argumentation fort bien étayée, exprimée dans un style fluide, plein d'humour et d'ironie. Je vous laisse aussi découvrir le sort de la sœur de Shakespeare, toute aussi géniale que son frère et comme lui ayant du goût pour le théâtre. Mais voilà, c'est une femme.

C'est un vrai régal que cette lecture. Le seul point négatif à cette conférence est malheureusement que son sujet reste, à différents degrés selon les pays, toujours d'actualité.

Dédale

Du même auteur : La chambre de Jacob, Flush : une biographie, La scène londonienne

Extrait :

Les femmes ont pendant des siècles servi aux hommes de miroirs, elles possédaient le pouvoir magique et délicieux de réfléchir une image de l'homme deux fois plus grande que nature. Sans ce pouvoir la terre serait probablement encore marécage et jungle. Les gloires de nos guerres seraient inconnues. Nous en serions encore à graver sur des os de mouton de maladroites silhouettes de cerfs et à troquer des morceaux de silex contre des peaux de brebis ou contre quelques ornement simple qui satisferait notre goût encore vierge. Les surhommes et les Doigts du Destin n'auraient jamais porté de couronnes, ou ne les auraient jamais perdus. Les miroirs peuvent avoir de multiples visages dans les sociétés civilisées ; ils sont en tout cas indispensables à qui veut agir avec violence ou héroïsme. C'est pourquoi Napoléon et Mussolini insistent tous deux avec tant de force sur l'infériorité des femmes ; car si elles n'étaient pas inférieures, elles cesseraient d'être des miroirs grossissants. Et voilà pourquoi les femmes sont souvent si nécessaires aux hommes. Et cela explique aussi pourquoi la critique féminine inquiète tant les hommes, pourquoi il est impossible aux femmes de dire aux hommes que tel livre est mauvais, que tel tableau est faible ou quoi que ce soit du même ordre, sans faire souffrir d'avantage et éveiller plus de colère que ne le ferait un homme dans le même cas. Si une femme , en effet, se met à dire la vérité, la forme dans le miroir se rétrécit, son aptitude à la vie s'en trouve diminuée. Comment un homme continuerait-il de dicter des sentences, de civiliser des indigènes, de faire des lois, d'écrire des livres, de se parer, de pérorer dans les banquets, s'il ne pouvait se voir pendant ses deux repas principaux d'une taille pour le moins double de ce qu'elle est en vérité. Ainsi pensais-je, émiettant mon pain, remuant mon café et de temps à autre regardant les gens dans la rue.


Éditions 10-18 - 171 pages