Les paysages de La Hague, de cette Bretagne sauvage, violente, malmenée par la mer et le vent sont des personnages à part entière. Les hommes vivent avec, comme façonnés par eux.
Les désirs, ici, sont mis à vif par les vents. C'est une affaire de peau, la Hague. Une affaire de sens
.
La narratrice est venue s'échouer là pour oublier son amour disparu, tenter de retrouver goût à la vie. Ses promenades, ses travaux ornithologiques sur les falaises environnantes ne sont que prétextes pour évacuer ce qui la ronge. C'est une silencieuse bien entourée. Les autres personnages, les gens du village se sont habitués à elle. Elle leur ressemble un peu. Elle est une taiseuse.
Il y a Raphaël, l'artiste peintre et sculpteur aux prises avec ses œuvres, les commandes de son agent. Morgane, l'étrange sœur de Raphaël s’ennuie ferme et ce n'est pas l'amour éperdu de Max, homme de tous les services, un peu dans sa bulle et au cœur énorme, qui va arranger les choses.
Et puis il y a Lili, qui tient le café restaurant sur la place du village, en charge de sa mère, la Vieille. Ces deux femmes en peuvent plus d'attendre les visites de Théo le père et époux pour mieux le frapper de leur silence haineux. Que dire de Nan, la rivale de la Vieille, que tout le monde croit folle. Tous des taiseux. Tous pétris de solitude. Tous à tourner toujours leurs douleurs comme un petit caillou gardé au fond de la poche.
Tout pourrait tourner tranquillement, longtemps ainsi dans le village, chacun à ses occupations si l'arrivée de Lambert ne mettait pas le feu aux passions anciennes. Des secrets bien enfouis, les rancœurs, les non-dits vont revenir au jour. Après les tempêtes, la mer ne rend pas toujours ce que l'on souhaiterait.
Avec des mots posés là comme des rejets de la mer, bruts, Claudie Gallay nous façonnent ses personnages, ses lieux magnifiques dans leur austérité. Elle sculpte à coups de phrases brèves comme des bourrasques de vent les émotions, les manques, le vide, les désirs, la perte.
Au début, on croit qu'on va crever et puis on crève pas. On vit. Y a même des fois après où on revit
.
Parfois on revit. Même après les plus grosses tempêtes, la côté panse ses plaies, la vie reprend son cours... autrement.
Une très très belle découverte que ce roman. Et même si on devine avant la fin les clés du secret, je pense que c'était chose voulue par l'auteur. Tout l'intérêt de son roman est ailleurs, dans les personnages, dans leurs ressorts profonds, confrontés aux autres, ce jeu de cache-cache entre ceux qui savent et qui ne disent pas tout et ceux qui veulent la vérité. Ensuite, il ne faut pas s'effrayer du nombre de pages. On est comme captivé, envoûté par cette côte, ces personnages que la dernière page arrivée, on se dit que l'on serait bien resté encore là-bas pour le double de temps.
Du même auteur : Seule Venise, Dans l'or du temps, Une part de ciel
Dédale
Extrait :
- Tu n'avais pas mis la pierre...
Raphaël tenait un petit personnage en fer entre ses mains. Il le regardait. C'était un funambule. Il voulait le faire tenir en équilibre sur un fil de plâtre. L'un des pieds était déjà en appui, mais le funambule ne tenait pas. Il a détaché un bras du corps.
- L'équilibre, ça tient à presque rien...
Du pouce, il a accentué la cambrure du dos.
- Si celui-là tient, j'en ferai un grandeur nature.
D'un mouvement de bras, il a englobé tout l'espace de l'atelier.
- Un funambule de deux mètres qui marchera bien droit !
La pointe du pied effleurait à peine le fil. L'ensemble était léger, très délicat.
- Ça ne pourra jamais tenir, j'ai dit.
- Ça pourra ! On tient bien, nous !
Il s'est reculé pour voir l'effet.
- On ne vit pas sur un fil...
Il s'est collé une gitane entre les lèvres.
- Tu es sûre de ça ?...
Pas sûre, non. J'ai regardé ses dessins. Il n'avait pas commencé sa série. Quelques ébauches, des traits forcés, indélicats.
Il a tiré une bouffée, a rejeté la fumée loin devant lui.
- Herman attend. Il m'engeule, il dit que je le fais exprès ! Tu parles si je le fais exprès...
J'ai regardé par la fenêtre.
Morgane était dans le jardin, couchée sur le banc, en plein soleil.
Je suis allée la rejoindre.
Le rat était contre elle, roulé en boule sur son ventre. Il dormait.
Elle a ouvert les yeux parce que j'étais dans le soleil.
Elle a tendu une main molle en direction des bateaux.
- Il traîne, elle a dit.
Je le savais.
Je l'avais vu.
Un sourire a glissé sur ses lèvres.
- ... s'appelle Lambert Perak, né en 55 à Paris dans le 6e. Vit à Empury, Morvan.
- Comment tu sais ça ?
Éditions du Rouergue - 525 pages
Commentaires
mardi 13 janvier 2009 à 07h54
Né en 55, quinze ans à la mort de ses parents, et pourtant ce n'était pas en 70 ? Petite erreur, Madame Gallay, et aussi vos re lecteurs ...
Bon, je chipote !
mardi 13 janvier 2009 à 08h23
Effectivement, y a un hic !!
Merci Keisha
mardi 13 janvier 2009 à 08h39
Du grand Gallay, encore une fois ! Je ne me lasse pas de cet auteur.
mercredi 14 janvier 2009 à 14h47
Bonjour
J'ai adoré ce roman. Très belle lecture et decouverte de cet auteur qui était mentionné par Lire si je ne me trompe pas
Par contre en tant que Bretonne, je tiens à signaler que La Hague et le Cotentin ce n'est pas du tout mais alors pas du tout la Bretagne mais la NORMANDIE ;-)))
Mais en tout cas un grand moment de lecture
mercredi 14 janvier 2009 à 22h03
J'ai hâte de découvrir ce roman dont j'ai entendu tant de bien... Cette note ne fait qu'aiguiser mon envie de lecture !
dimanche 18 janvier 2009 à 14h55
Ce roman me tente mais j'hésite encore un peu.
jeudi 29 janvier 2009 à 00h15
Si le style est vif, brillant, incisif... Si les atmosphères sont bien décrites... Ce roman a 200 pages de trop, on tourne vraiment en rond par moment et puis il sonne trop comme un scénario de film (réflexion que je me suis faîte après 30 pages et bien avant de savoir que TF1 en avait acheté les droits).
Note personnelle : 12/20
lundi 2 février 2009 à 21h32
Merci à tous pour vos visites et commentaires.
A moi d'aller faire un tour sur place pour me faire une idée sur la différence entre la Bretagne et la Normandie. En tout cas, l'océan sera au rendez-vous dans les deux cas
mercredi 4 février 2009 à 17h50
Très bien ce livre, à conseiller à toutes les personnes qui aiment les livre de terroir, une belle histoire trés émouvante avec une happy end !
dimanche 22 février 2009 à 19h39
j'ai beaucoup aimé ce livre d'atmosphère, de délicatesse dans la tempête, d'embruns
les personnages réunis en ce lieu perdu de Bretagne ont tous des meurtrissures à l'âme, sont là en quelque sorte en convalescence
une très grande sensibilité sans sensiblerie
je ne connais par contre pas du tout ses ouvrages précédents.
jeudi 14 janvier 2010 à 18h26
Je viens de découvrir Clarabel (grâce à Télérama) et je trouve ça génial.
J'ai beaucoup aimé Les déferlantes. En le lisant j'ai senti les embruns et le rythme des marées. La personnalité du sculpteur m'a particulièrement touchée car je trouve toujours émouvant les gens qui se battent avec leur art pour survivre. Je n'ai absolument par remarqué la petite erreur notée par keisha et dédale. Quand on aime on ne compte pas !
vendredi 15 janvier 2010 à 21h54
désolée d'être la note discordante mais ce livre ne m'a absolûment pas intéressée, je n'ai pas réussi à aller jusqu'au bout ; la construction des phrases "sujet / verbe / complément" manque singulièrement de recherche ; bref je déconseille et en ai fait cadeau à la bibliothèque de mon quartier
dimanche 17 janvier 2010 à 11h05
Merci à tous et toutes pour vos visites et commentaires qui apportent tant
mercredi 17 février 2010 à 17h50
J'ai lu ces "déferlantes" cet été et je ne l'ai pas lâché. Je ne connaissais pas pour ma part Claudie Gallay, mais ce livre avait fait suffisamment de bruit pour retenir mon attention. Si le style n'est pas extraordinaire, l'histoire elle nous tient bien en haleine, et les personnages ne se détachent pas de vous facilement. Un vrai plaisir de lecture
mercredi 17 février 2010 à 20h58
Et pour ne pas rester en si bon chemin, Alice-Ange, je te conseille la lecture de Dans l'or du temps et Seule Venise. Ces histoires valent aussi leur pesant.