Parce que j’avais beaucoup aimé La Soif, premier roman traduit en français d’Andreï Guelassimov, et qui était pourtant tout ce que j’abhorre, ce qui me déstabilise, ce que mon éducation me fait réprouver : l’alcool, - vous aurez compris. Je ne déteste pas qu’un homme me déstabilise, un écrivain s’entend…
La Soif, court roman de 130 pages, met en scène une « gueule cassée », un jeune bidasse russe revenu défiguré du front tchétchène, Kostia. Pour oublier, il boit… à la russe, c’est-à-dire sans soif. C’est finalement dans l’art, en l’occurrence le dessin, qu’il trouvera une raison de (continuer à) vivre.

L’Année du mensonge, gros roman de 378 pages, met en scène un autre raté, Mikhail, au chômage depuis peu. Avec Sergueï, un jeune homme issu de la haute société dont il est chargé de faire l’« éducation », et Marina, une étudiante en théâtre aux airs d’Audrey Hepburn, ils forment un trio fragile aux aventures improbables, dans une Russie contemporaine qui a perdu ses repères traditionnels, qui se délite et laisse la place aux plus forts, aux plus rusés, aux plus menteurs.

L’écriture d’Andreï Guelassimov est simple, brute, rythmée de nombreux dialogues, proche du scénario comme il la définit lui-même. Son art est dans la cohabitation improbable de la mélancolie et du burlesque, du désespoir inguérissable d’une jeunesse perdue et de l’espoir indécrottable de chacun pris individuellement.
Le lien qui semble exister entre l’art et le désespoir me fascine depuis longtemps.

Du même auteur : La soif

Par Nezdepapier

Extrait :

Les magnats de la finance avaient fait un bras d’honneur à leurs créanciers occidentaux et refusaient de payer leurs dettes. Tout le pays avait fait faillite [Le roman a pour cadre la crise de 1998]. Seul un débile profond pouvait, dans cette situation, espérer quelque chose. La Russie avait volé en éclats et on était tous pris dans le mouvement. J’avais la même sensation que s’il ne nous était resté que quelques mois à vivre. D’ailleurs, ce foutu pays ne me tracassait pas outre mesure. Je ne me faisais du souci que pour quatre personnes exactement. Parmi lesquelles, Marina et son frère.


Éditions Actes Sud - 378 pages