Le vol de l’ibis rouge est le premier roman de Maria Valeria Rezende. La narration est double : dans chaque chapitre, un conte (avec certainement une part autobiographique, mais ce n’est pas toujours précisé) est raconté par Rosalio. Ce conte est encadré par la description de la vie menée par Rosalio et Irène. J’avoue avoir mis quelques chapitres avant de comprendre le mécanisme de narration. Mais une fois celui-ci dompté, quel plaisir de lecture que ce roman !
La vie d’Irène et de Rosalio est précaire : ils manquent tous les deux d’argent, effectuent chacun un métier dangereux, elle prostituée, lui trouvant des petits boulots dans la construction. Surtout, cette misère sociale est liée à une misère culturelle : Rosalio ne sait pas lire, et Irène, qui peut l’aider, n’a pas les moyens d’acheter les livres qui pourrait la sortir de son univers. Il y a enfin la misère affective qui touche les deux protagonistes, chacun étant heureux de trouver une oreille attentive pour se sentir soutenu.
Il y a beaucoup d’humanité dans ce roman. C’est d’abord un hommage à l’apprentissage, à la culture et aux livres. L’hommage est aussi rendu à l’oralité, qui transparaît ici par les histoires racontées par Rosalio. Chaque conte est une aventure palpitante, qui mélange ce qu’a vécu Rosalio avant de venir dans la ville et mythes de la culture brésilienne. J’ai notamment noté un très joli conte au sujet d’une troupe de théâtre amateur, qui en partant de rien, se fait une renommée, au point que les habitants du village ne peuvent plus assister aux représentations du fait de l’affluence des gens venus de la ville.
Puis il y a l’aventure humaine entre ces deux personnages, usés par la vie, qui n’ont d’autres objectifs que de subvenir à leurs plus élémentaires besoins. Et cette amitié, cette solidarité va prendre le pas sur la misère, et inciter chacun à oser franchir le pas pour enfin pratiquer l’activité qu’ils désirent et quitter ce milieu sordide dans lequel ils se débattent.
Voilà donc une jolie surprise et une belle découverte que ce roman brésilien, qui est un concentré de solidarité et de dépaysement tout à fait remarquable.
Par Yohan
Extrait :
Irène revient des brumes du rêve où lui ont rendu visite, se fondant l’un dans l’autre, Simao, Romualdo et l’homme aux yeux verts, les autres s’en vont mais ce dernier reste, la tête posée sur le bras replié au bord du lit, la mousse des cheveux attire les doigts d’Irène qui s’y entrelacent, perçoivent leur douceur, peu à peu elle retrouve le savoir-faire de ces caresses qu’elle a déjà oubliées, elle savoure lentement, pour la première fois, qui sait ?, la sensation de toucher le corps d’un homme pour rien, par tendresse uniquement.
Rosalio se réveille mais fait semblant de dormir encore, une mollesse agréable parcourt son corps de la tête aux pieds, c’est ça, avoir une mère ?, c’est ça avoir une femme après que le feu a brûlé, s’est consumé et s’est éteint ?, un soupir le trahit et la femme retire sa main, elle se lève, sort du lit, dit qu’il est tard, allume la lampe, retire du soutien-gorge la photo où tous deux s’enlacent, « avant que tu partes, je veux écrire mon nom et que tu écrives le tien ici, derrière la photo », elle cherche le crayon, elle signe et lui demande de faire la même chose. Rosalio est surpris, comment est-ce que je peux signer si je n’ai encore appris à écrire qu’une seule lettre, celle par laquelle commence mon nom ? « Dans ce cas, fais la première et moi je compléterai. » Il saisit le bout de crayon, se mord la langue et, avec application, trace maladroitement un grand R, tout seul, noir sur blanc.
Éditions Métailié - 192 pages
Commentaires
dimanche 18 janvier 2009 à 18h01
Voila un titre qui s'ajoute sur ma liste. Merci Yohan
lundi 19 janvier 2009 à 19h10
Mais de rien, ma chère Dédale ! Il vaut vraiment le coup de figurer sur ta liste !!!
jeudi 22 janvier 2009 à 08h09
Je ne peux que m'accorder à Yohan! Une superbe découverte ce roman!
dimanche 11 octobre 2009 à 02h27
une autre maniere de voir les choses!!
samedi 13 février 2010 à 16h49
Un très beau roman que j'ai dévoré en quelques jours. Et ce n'est pas le seul que j'ai découvert grâce à votre blog.
dimanche 14 février 2010 à 15h30
Merci Caroline de faire part ici de vos impressions positives sur ce très beau roman, en effet ! J'espère que beaucoup d'autres découvertes vous attendent dans ces pages !!!