Comment parler de ce roman sans trop en dire ?

Je pourrais peut-être vous présenter le jeune David ; vous dire que c'est un garçon vif et particulièrement lucide ; que son regard sur le monde des adultes qui l'entourent est à la fois empreint de maturité et de poésie; vous parler de son amour inconditionnel pour la cuisine.
Je pourrais bien sûr vous dire aussi deux ou trois mots de plus sur ses parents ; le père, un aviateur qui, après son exil en Angleterre pendant la guerre, est revenu épandre les champs jusqu'au fatal accident. La mère, infirmière tombée amoureuse de son malade, et qui a tout abandonné pour lui.
Tout cela, je pourrais vous le dire sans que cela déflore le plaisir de la lecture. Mais le reste doit être soigneusement tu pour que vous puissiez conserver tout le plaisir de la découverte, et plus important, l'intensité dramatique que l'auteur installe peu à peu.

J'ai vraiment apprécié l'écriture de cet auteur : tendre, poétique, calme, elle laisse la part belle aux ambiances. L'humour frôle en permanence la gravité et évite ainsi que le récit ne sombre dans le pathos. Lentement, l'auteur crée son décor, le rend de plus en plus réel et prépare le lecteur au dénouement final. Il n'y a pas vraiment de rebondissements et de portes qui claquent, et pourtant en quelques pages toute une vie se dessine. Cette vie là ne mériterait certes pas de passer au 20 heures. Il n'y a finalement rien de remarquable dans l'existence de ce petit David devenu grand. Mais c'est peut-être là qu'est réellement le talent de l'auteur : parvenir, par la seule force des mots, à nous captiver avec une histoire finalement ordinaire. Il faut d'ailleurs souligner le travail de la traductrice, Emmy Bos qui a reçu pour ce roman le Prix de traduction John Glascco en 2004.

C'est le premier roman que je lis de cet auteur, et c'est une très belle découverte. Un petit avertissement tout de même : si vous cédez à votre tour, surtout, ne lisez pas la quatrième de couverture !

Laurence

Extrait :

Nous vivions dans une bulle paisible et chaleureuse, à l'abri de tout. Le thé restait au chaud sur une petite flamme, la brise apportait les bruits du dehors par la porte ouverte sur le balcon. Un jour que je me penchai pour ramasser une pièce tombée par terre, j'aperçus la jambe de ma mère posée sur celle de mon père, dont la main était placée haut sur sa cuisse. Ma mère avait enlevé sa chaussure et caressait de son pied le mollet de mon père.
Dans mon souvenir, cette période est aussi intensément vivante que l'était pour mon père l'époque où il pilotait des avions d'épandage.


Éditions Les Allusifs - 105 pages