Pour chaque échange épistolaire, l'éditeur a choisi de publier à la foi la copie de l'original et la version dactylographiée. Il y a donc d'abord un plaisir des yeux : observer la calligraphie de tel ou tel auteur, se régaler des pleins et des déliés, constater l'évolution de l'écrit au fil des siècles. Même si certaines missives sont difficilement lisibles, il y a un vrai plaisir à pouvoir contempler et confronter les reproductions. En cela, Correspondances Intempestives est un objet littéraire intéressant : on l'ouvre au hasard, on s'attarde sur un tracé, on devine derrière la rondeur ou les pattes de mouche des tempéraments plus ou moins trempés.

Au-delà de l'objet, il y a bien évidemment les échanges eux-mêmes et la surprise qu'offrent certains de ces "couples". En voici quelques uns : Alfred de Musset et Catherine Lara; Jules Renard et Philippe Delerm; Colette et Anne Sylvestre; Germaine de Staël et Nancy Huston ou Guillaume Apollinaire et Sylvie Germain.

Certains de nos contemporains ont joué le jeu jusqu'à se glisser dans la peau de celui à qui était destiné initialement le courrier. Parmi ceux-là, on appréciera l'insolente et mordante réponse d'Ariane Massenet, alias Madame de Pompadour, à un amant croupissant en prison ; ou celle de Sylvie Germain-Madeleine Pagès à Guillaume Apolinaire.
D'autres ont préféré répondre en leur nom avec quelques siècles de distance et le recul nécessaire pour parfois les remettre à leur place : ainsi, Françoise Dorin a bien du mal à croire en la sincérité de François de Malherbe et y voit une coquetterie d'écrivain ; Didier Decoin, quant à lui, rappelle à Marie de Sévigné que son inquiétude de mère est bien disproportionnée et qu'aujourd'hui nombre d'enfants disparaissent dans des conditions épouvantables.

Si l'ensemble est inégal, il faut avouer qu'il semble parfois bien difficile de se mettre à la hauteur de ceux qui ont marqué notre patrimoine littéraire. Mais là n'est pas le plus gênant...
Pour une telle entreprise, le visuel était primordial puisque l'éditeur a décidé d'agrémenter chacune des correspondances par les reproductions des originaux. Or la maquette défie toutes les règles du genre et cela nuit vraiment au plaisir de la lecture. Non seulement il n'y a aucune cohérence graphique d'un échange à l'autre mais la mise en page est surchargée, inélégante et plus que maladroite (allant même jusqu'à rendre la lecture difficile). Avec une telle matière, il aurait été à mon sens bien plus judicieux et élégant de laisser toute la place à la beauté des reproductions et de jouer la carte de la sobriété. L'ensemble donne l'impression d'un collage disparate et ce qui aurait dû être un très bel objet se transforme en curiosité littéraire. Reste un recueil-gourmandise dans lequel on prendra plaisir à venir piocher de temps à autres.

Laurence

Extrait : Françoise Dorin à François de Malherbe

Quelle femme, Monsieur, pourrait ne point être bouleversée par cette lettre de vous, que le hasard a mise entre mes mains ?
Quelle femme, en la lisant, pourrait n'avoir point envie de courir vers vous du bout du monde, du bout de ses réticences... ou de ses possibilités pour apaiser - sinon éteindre - vos "afflictions extrêmes" ?
Quelle femme pourrait ne pas frémir d'aise, en même temps que d'effroi à la pensée qu'à cause d'elle vous êtes en danger de mort ?
Oui... Quelle femme ?
Eh bien, je vous le dis sans vantardise, mais sans honte ; moi !
Surtout, Monsieur, n'en déduisez pas, à la hâte que j'ai le cœur aride (ou ridé), ni l'esprit revanchard de certaines amazones, toujours prêtes à se réjouir des déboires masculins. Vous seriez dans l'erreur, croyez-moi sur paroles : où vous êtes, je n'ai aucun intérêt à vous tromper. Ma réserve à votre égard vient simplement du fait que j'exerce le même métier que vous. Avec moins de talent. Je vous l'accorde volontiers nonobstant, il s'agit du même métier, et à la base, de la même passion. Alors, bien sûr, je sais quelques petites choses sur les manieurs de plumes. [...]


Éditions Triartis - 253 pages