C'est en tant qu'étudiant de droit appelé à suivre un procès sur des supposés collaborateurs nazis que Michaël retrouve Hanna sur le banc des accusés. Pourtant quelque chose cloche... Hanna aurait-elle un secret qui échappe à tous?

Ce récit couvre habillement trois périodes. D'abord, celle de ce grand amour, à la fois fantasmatique et fantastique, qui unit deux être que l'âge et le tempérament séparent; ensuite, la période du procès et la recherche de Michaël, convaincu qu'un élément échappe au jury; enfin, l'après-procès et la façon dont Michaël et Hanna réinventent leur relation.

L'extrême habileté de Bernard Schlink réside dans le détail de psychologies qui n'ont rien de binaire. Hanna est un personnage complexe, profond, dont les sautes d'humeur ne sont jamais anodines. De plus, le tissage fragile entre ce secret qu'on devine, secret qui ne la déculpabilise pas mais porte un nouvel éclairage sur le procès, fait de ce récit un franc succès. Et que dire de l'extrême sensualité qui se dégage de toute la première partie du roman, l'auteur sachant très bien mettre en mots ce désir incontrolable qui ne s'explique pas toujours.

Finalement, à la façon d'un Stefan Zweig, Schlink est très habile pour s'appuyer sur une histoire qui se veut intimiste mais qui devient la métaphore d'une société. Ici sont exposés avec une grande finesse tout le paradoxe de la relation entre deux générations d'Allemands: ceux qui ont vécu (parfois en ayant collaboré, d'autres fois en ayant baissé les yeux) la période nazie et ceux qui la suivent et s'en font les plus ardents pourfendeurs.

À noter: une adapation cinématographique est présentement à l'affiche et obtient d'excellentes critiques.

Par Catherine

Extrait :

Des années plus tard, je m'avisai que ce n'avait pas été simplement à cause de sa silhouette que je n'avais pu détacher mes yeux d'elle, mais à cause de ses attitudes et de ses gestes. Je demandai à mes amies d'enfiler des bas, mais je n'avais pas envie d'expliquer pourquoi, de raconter le face-à-face entre cuisine et entrée. On croyait donc que je voulais des jarretelles et des dentelles et des fantaisies érotiques, et on me les servait en posant coquettement. Ce n'était pas cela dont je n'avais pu détacher les yeux. Il n'y avait eu chez elle aucune pose, aucune coquetterie. Et je ne me rappelle pas qu'il y en ait jamais eu. Je me rappelle que son corps, ses attitudes et ses mouvements donnaient parfois une impression de lourdeur. Non qu'elle fût lourde. On avait plutôt le sentiment qu'elle s'était comme retirée à l'intérieur de son corps, l'abandonnant à lui-même et à son propre rythme, que ne venait troubler nul ordre donné par la tête, et qu'elle avait oublié le monde extérieur. C'est cet oubli du monde qu'avaient exprimé ses attitudes et ses gestes pour enfiler ses bas. Mais là, cet oubli n'avait rien de lourd, il était fluide, gracieux, séduisant - d'une séduction qui n'est pas les seins, les fesses, les jambes, mais l'invitation à oublier le monde dans le corps.

À l'époque, je ne savais pas cela - si du moins je le sais aujourd'hui, et ne suis pas en train de me le figurer. Mais en réfléchissant alors à ce qui m'avait tant excité, l'excitation revint. Pour résoudre l'énigme, je me remémorai le face-à-face, et le recul que j'avais pris en me faisant une énigme disparut. Je revis tout comme si j'y étais, et de nouveau je ne pouvais plus en détacher les yeux.

 


Éditions Folio  -  243 pages