Sol est le premier des quatre membres centraux de cette famille à prendre la parole dans ce livre. Suivront son père, sa grand-mère et son arrière-grand-mère qui, chaque fois, prendront la parole à 6 ans, respectivement en 1982, 1962 et 1944. Dans cette narration ante-chronologique, à travers leurs voies d'enfant, on explorera les secrets d'une famille, secrets tapis dans l'Allemagne nazie, secrets qui à force d'être gardés, enfermés, créent des névroses transmises d'une génération à l'autre. Chez Sol, pétri de sa toute-puissance bien américaine; chez le petit Randall, dont l'identité juive est chancelante et dont la mère semble l'oublier trop prise dans ses études; chez la petite Sadie, ressentant la présence importante d'un Ennemi intérieur, envahie d'obsessions-compulsions, élevée par des grands-parents sans envergure et sans magie; chez la petite Kristina finalement, quelque part en Allemagne, coincée dans des secrets que la fin de la guerre fissurera.

C'est un ouvrage fascinant dont les grandes forces sont justement d'avoir mis le doigt sur la façon dont les non-dits familiaux peuvent pourrir la vie sur plusieurs générations; de savoir démontrer combien, dans l'enfance, des événements disparates peuvent se cristalliser en une émotion qui marquera toute la vie; de démontrer que la parent qui semble toujours imparfait aux yeux de l'enfant a d'abord été un enfant grandissant dans ce que ses parents ont pu -  ou non! - lui offrir. 

Sans surprise, je me suis particulièrement reconnue dans la petite Sadie, pétrie d'un syndrome de perfection, dévorée par son angoisse et ses démons, se sentant profondément seule au monde et qui fera de cette solitude le tremplin d'une recherche intellectuelle insatiable. Je me suis sentie près de cette enfant sans pourtant ressentir aucune sympathie pour l'adulte qu'elle devient. Voilà le miracle de ce livre, de faire dans la nuance, dans les zones de gris où chacun a les défauts de ses qualités: généralement émouvants dans l'enfance, souvent insupportables plus tard !

Du même auteur : Passions d'Annie Leclerc, Les variations Goldberg, La virevolte

Par Catherine

Extrait :

Quand on arrive à Douce nuit qui est toujours le dernier cantique, on chante chaque strophe un peu plus doucement que la précédente, de sorte que les derniers mots l'amour infini sont comme un chuchotement dans l'air, et puis grand-mère dit «Chu-u-u-u-u-t» et tout le monde se tait. J'entends la grande pendule qui fait tic-tac dans la pièce et je sens mon cœur battre dans ma poitrine. Quand mon cœur cessera de battre je serai morte. La pendule n'est pas en vie mais quand même elle se balance calmement de droite à gauche et de gauche à droite, parfois, elle s'arrête, mais ça ne veut pas dire qu'elle est morte, ça veut juste dire que grand-père a oublié de la remonter. Même si la pendule se casse un jour et qu'on ne peut plus la réparer on ne dira pas qu'elle est morte, on n'achètera pas un cercueil pour l'enterrer, on dira seulement qu'elle est fichue et on en achètera une autre.

Si on a le cœur brisé, ce n'est qu'une façon de parler.


Éditions Babel - 498 pages