C’est un très joli roman que signe Jeanne Benameur avec Laver les ombres. C’est un court roman, qui prend le temps d’installer la situation : on suit d’abord longtemps Lea, chez elle, puis à l’extérieur. On découvre son rapport obsessionnel à la danse et à la maîtrise de son corps, ce qui l’empêche de s’abandonner, de se laisser aller devant le regard de Bruno.  Mais on découvre également, par intermittence, l’histoire de Romilda, qui vit à Rome dans les années 40.
 
Cette narration alternée instille un mystère : qui est Romilda, qu'on voit pendant la seconde guerre mondiale, en Italie ? Après l’espace et la maîtrise de Lea, on ressent l’enfermement, l’oppression et la soumission de Romilda. Puis le lien qui unit ces différents protagonistes s’éclaire, bien qu’on le devine rapidement. On quitte peu à peu l’Italie pour s’installer en France, et découvrir le secret que cache la mère de Lea.
 
Le dévoilement du secret est d’ailleurs lui aussi l’objet d’une narration très particulière. Jamais de dialogue, ni de narration à la première personne, mais un narrateur externe plein d’empathie pour les personnages. Ce qui donne un ton très original, à la fois discret, puisque les révélations sont suggérées, et plein de compassion pour Lea, qui perd pied face à ce "bousculement" intérieur.
 
Voilà un court roman qui emmène son lecteur bien loin, dans les bas-fonds de l’Italie de la guerre ou dans la peau de la danseuse. Un livre tout en finesse, à l’intrigue principale assez remuante, que Jeanne Benameur réussit à exploiter sans en faire trop sur un sujet qui pourrait s'y prêter.

Du même auteur : Profanes, Notre nom est une île, Une histoire de peau, Les Demeurées

Par Yohan


Les critiques qui suivent ont été mises en ligne le 29 juin à la suite du "Prix Biblioblog 2009"


Un roman singulier et qui m’a bercé. J’ai aimé l’acuité de la plume de Jeanne Benameur, son regard sur le corps aussi (par la danse, par la maternité, par l’amour…). Il y a vraiment, dans cette narration, une tendresse, une humanité très touchante. Yohan parlait d’empathie, je suis d’accord avec lui. On s’attache à Lea et à sa douleur, la mémoire familiale plongée dans le non-dit. J’ai aussi eu beaucoup d’affection pour son copain Bruno qui aime cette femme difficile.
Pour ma part, j’ai trouvé l’intrigue prévisible, mais il n’y a pas là un besoin de ‘punch’. La beauté ici, c’est la langue qui dit l’Être, dans sa plus simple, et plus complexe à la fois, expression.

Catherine

Après la musicalité de l'écriture de Perez, voici une écriture plus physique, sensuelle (qui privilégie les sens), chorégraphique.
Un peu déstabilisé au départ par le style de Jeanne Benameur, j'ai appris à visualiser ce qu'elle écrivait. C'est très intéressant comme conception. L'histoire ne s'arrête plus aux mots et aux représentations qu'ils génèrent dans l'esprit du lecteur, ils deviennent eux-même représentation, danse, mouvement. Le tout pour servir une histoire tout en délicatesse : celle d'une vie qui se trouve, de la peur du changement et de la mort, celle du poids des secrets et de la peur de l'autre. J'ai aimé cette histoire à deux voix, à deux corps plutôt, qui s'est jouée pour moi lors de ma lecture. Pourtant je n'ai pas été rassasié. J'en attendais plus encore et la fin m'a laissé sur ma faim. Ceci dit, ce fut une très belle découverte.

Cœur de chene

Cet ouvrage aurait pu être à la troisième place mais Laver les ombres de Jeanne Benameur s'est avéré être une lecture particulière pour moi. Ayant pratiqué la danse classique dans mon jeune âge, l'histoire de Léa a résonné tout spécialement. Pas uniquement pour les références à la danse mais pour bien d'autres raisons. J'ai aimé le style comme un souffle court, rapide, qui ne s'étend pas en longueur, efficace comme les gestes de la danseuse qui vise l'épure, le geste parfait. Le rendu des sensations physiques de chaque mouvement de danse est très bien bien retranscrit. J'ai aimé la corrélation entre ces sensations physiques, et les sentiments profonds de la jeune femme. J'ai aimé la pudeur des mots de la mère quand elle raconte sa vie de jeune fille, sa vie de femme mariée avec un tel homme... Tant de choses sont dites, sans haine aucune et pourtant....
Cette histoire m'a marquée. J'ai marqué le livre aussi en retour. Je l'ai rendu à la bibliothèque mais je sais que bientôt il sera de retour définitivement chez moi. Je sais que j'aurai à nouveau envie, besoin de relire cette histoire, certains passages.

Dédale

Ce roman est mon préféré de la sélection. La première chose qui m'ait frappé est le style tout en respirations. L'auteure a une écriture tout à fait singulière, faite d'une syntaxe souvent tourmentée quoiqu'alliée à une fluide sobriété. Je n'ose imaginer le travail que cela doit représenter d'écrire ainsi un roman, fût-il court.
Dès le deuxième des onze tableaux, j'avais déjà la certitude d'avoir compris quel était le lourd secret de Romilda. De toute façon, le lecteur imprudent l'aura déjà découvert en même temps que la quatrième de couverture. Bref, c'est bien davantage le style que l'histoire qui m'a enthousiasmé. Toutefois, j'ai apprécié la façon adroite dont le roman aborde les thèmes de la danse et de la peinture.
Lea éprouve au cours du roman des sentiments particuliers vis à vis du temps. Même si le procédé est peut-être un peu gros, je n'ai pas boudé mon plaisir de voir ses tourments intérieurs entrer en résonance avec une tempête atmosphérique.

Joël

Comme tous les autres rédacteurs ici, j'ai été frappée par la plume de Jeanne Benameur. Il y a quelque chose de charnel dans l'agencement des mots, qui va bien au delà des descriptions du travail de danseuse de Lea. Tout le récit est porté par une écriture du mouvement, du corps et c'est une expérience assez étrange et fascinante que de suivre les parcours de Lea et sa mère. Tel un danseur, le lecteur est sans cesse entre terre et ciel, entre harmonie et rupture, entre rythme saccadé et silences. Jeanne Benameur a écrit ici une chorégraphie subtile, douce et cruelle, avec beaucoup d'intelligence et de talent.

Laurence

Bien que ce livre ait été une lecture intéressante, je n’ai pas réussi à être touchée par ce roman. Disons que je suis souvent plus difficile dès qu’il y a comme des exercices de style dans les romans et celui-ci n’a pas fait exception. Le style est saccadé, les phrases sont courtes et sonnent comme des coups de poings. Certes, le roman a sans conteste de nombreuses qualités. L’auteure y raconte tout en retenue la douleur d’être, le besoin de savoir, la recherche de son identité, elle y raconte une douleur héritée dont il faut connaître la teneur pour pouvoir continuer à vivre. Pourtant, pour moi, les coups de poings ont été donnés dans le vide, les mots sont restés sans échos, les propos ont résonné dans le vide. Je pense qu’il faut avoir connu une quête identitaire semblable à celle décrite pour être sensible au roman. Ça n’a pas été le cas pour moi. C’est dommage, une rencontre ratée….

Pimpi

Extrait :

Avec sa mère, les mots n’ont jamais été de mise.
Lea relève la tête. Elle se retourne, s’adosse au pont derrière elle. Elle se force à croiser le regard des passants. Visage à visage inconnu. Que le manège tourne.
Se laisser envahir par le monde alentour, c’est tout. Ne plus rien chercher. S’oublier dans les corps en mouvement autour d’elle. Oublier cette peur qui la tenaille. Chasser la rage qui arrive en plus et qu’elle ne maîtrise pas. S’en tenir à ce qui lui permet de respirer large. Comme lorsqu’elle tient un équilibre, la pensée toute entière concentrée sur le point secret où elle s’arrime, là, derrière la nuque, central, chaud, intouchable.
Elle appuie le bout de ses doigts sur la pierre froide du pont derrière son dos.

La seule chose qui l’aiderait à se retrouver vraiment, c’est la poitrine de Bruno, ses mains sur sa peau. Elle le sait. Quand ses lèvres à elle cherchent sa chaleur, son odeur, elle oublie tout.
Ce lien-là la bouleverse. Lier son corps avec cette force à un autre corps, c’est du vertige. Bruno parle peu. Il la tient serrée contre lui. Quand elle y est, elle voudrait y rester toujours. Et elle a peur. Elle a toujours fui avant d’être attachée à quiconque. Et lui, elle ne veut pas. Pourtant.
Elle a oublié son portable. Une fois de plus. Tant mieux. Ce serait si facile de lui faire la surprise d’appeler, d’apparaître à la porte de son atelier. Il ouvrirait les bras. Comme d’habitude. Et elle, elle n’est pas comme d’habitude. Ce serait tricher. Elle n’aime pas tricher.
Lea soupire fort. Un homme qui passe lui sourit. Elle sourit aussi, comme les enfants, en retour. Le sourire demeure et lui fait du bien. L’homme n’en saura jamais rien. C’est ce qu’elle aime dans la ville.
Le sourire échangé la remet en route. 


Éditions Actes Sud - 130 pages