Rien ne servirait de tenter de résumer ce bouquin ni roman, ni journal et dont la ligne conductrice n'a pas grand chose à voir avec le récit linéaire. L'important ici c'est la richesse des thèmes abordés, le regard acéré que l'auteure porte sur son parcours, sur ses passions, et les beaux morceaux de littérature.

Au départ, je n'étais pas du tout certaine. J'ai abordé le livre à reculons, acceptant difficilement de me laisser aller du coq à l'âne, dans les méandres de ce qui me semblait souvent sans queue ni tête. Et pourtant cette plume forte, ces images qui frappent, cette écriture qui a quelque chose d'intérieur et d'intuitif... Il y a quelque chose de très troublant dans cet ouvrage, par les images qu'il fait naître, par les questions qu'il pose. Surtout, je dirais qu'il démontre très bien combien notre parcours personnel et intime, nos névrose, nos peurs et nos blessures; comment tout ce qu'on a accumulé au cours des ans finalement, n'est pas étranger aux choix que l'on fait comme adultes, y compris nos choix professionnels que l'on veut pourtant 100% rationnels.

Avertissement: ouvrage fort mais non-linéaire, fortement poétique, à mettre entre les mains de ceux qui aiment frapper à la porte d'une littérature qui refuse de se laisser catégoriser.

Du même auteur : Supplément à la vie de Barbara Loden

Par Catherine

Extrait :

Qu'un autre regarde n'est pas indifférent. Je le répète encore, mais le chargé de mission du ministère n'entend pas. «Si la Castiglione vivait aujourd'hui, elle ferait l'oeuvre d'une Cindy Sherman», dit-il en déplaçant puis en replaçant les piles de livres rangés sur l'étagère derrière son bureau. «Elle serait photographe, ou même elle aurait simplement acheté un appareil numérique et elle se prendrait en photo. Elle écrirait, comme Cindy Sherman l'a fait dans don journal, vous connaissez son journal? elle a écrit "Play on Narcissism/real Autoportrait", ou quelque chose comme ça, c'est tout à fait votre Castiglione.» Ici, on frappe. J'attends qu'il réponde, mais il repose les livres, s'assoit sans un mot à son bureau, ouvre le dossier placé devant lui, s'absorbe, soudain voûté, dans l'examen du premier document qui se présente, sa cravate à rayures obliques s'arrondit et ploie mollement contre la table en verre. On frappe une seconde fois. Il se renverse sur son fauteuil l'un des feuillets en main, tous les signes de la lecture la plus attentive affichés sur son visage, je tourne la tête vers la porte, il interrompt sa lecture, repose le feuillet, vient s'appuyer sur la table en joignant les mains devant lui, me regarde d'un air encourageant, sourcils levés, sourire aux lèvres, la conversation devrait se poursuivre, je répète que la présence du photographe n'est pas si négligeable qu'il a l'air de le croire. «Qu'un homme regarde n'est pas indifférent, non?» Mais il ne m'écoutait pas: «Qu'un quoi regarde?» Je répète.


Éditions P.O.L - 157 pages