Blanche se souvient: son mari Florent, à qui elle s'adresse, son fils tant attendu Louis-Jonas, son enfance et toute sa vie dans cette maison où elle s'apprête à mourir. Blanche observe les habitants de Baie Saint-Paul: son amie Jeanne d'Arc, sa nouvelle voisine aux pinceaux, la petite Mélodie et tout ce petit peuple de gens hors-norme qu'elle rebaptise selon leurs comportements: Zizanie, Lithanie, la dame au chien, Bidou, Bozo, etc.

Ce train pour Samarcande, il est inspiré par une étrange conjonction entre l'Ouzbékistan, nouveau pays dont Blanche a entendu parler au bulletin de nouvelles (j'aimerais bien savoir où elle regarde les nouvelles!), et un livre d'Amin Malouf qui se déroule dans la cité mythique. C'est vers ce Samarcande que Blanche s'imagine arriver par le train qui la ramènera enfin vers ses morts.

Bien que le livre ne m'ait pas déplu, certains éléments m'ont dérangée. Cet étrange choix de Samarcande, que j'évoque plus tôt, ainsi que certaines images. Pourquoi Blanche, qui a vécu sa vie à Baie Saint-Paul, verrait-elle l'ombre de son mari décédé s'engouffrer dans une station de métro? (p. 23) 

Je dirais aussi qu'un certain passéisme folklorique me dérange. Cette idée que dans le temps les choses avaient de la valeur en elle-même et que maintenant il n'y a que l'argent qui compte est une extrême généralisation. Une généralisation qui en plus, est fausse sous certains aspects. Les détenteurs de la richesse il y a 50 ou 100 ans au Québec étaient peu nombreux, exploiteurs, le manque d'instruction était pandémique et les gouvernements croulaient sous la corruption sans aucune transparence. Et je ne pense pas que les gens, crispés dans la foi et les normes sociales, étaient si conscients du «sens» des choses. (p. 120)

Par contre, j'ai été très touchée par cette force et cette faiblesse à la fois, ainsi que par la douleur de vieillir et mourir seule, sans attache. Un livre qui nous fait réfléchir aux aînés qui nous entourent.

Par Catherine

La Recrue du mois est une initiative collective qui met en vedette le premier ouvrage d’un auteur québécois. Pour lire les autres commentaires sur ce livre vous pouvez donc vous rendre sur le site de La recrue du mois

Extrait :

La feuille et le stylo sur les genoux, Blanche se laisse à nouveau absorber par ses rêveries. Son existence est un théâtre où elle ne joue plus. Elle reste assise, tranquille, seule dans la pénombre de la salle, à regarder l'étrange représentation. Quand il ne se passe plus rien dehors, elle chante des vers qui surgissent à la surface de sa mémoire par fragments épars. Elle les cueille et les accroche bout à bout: mon enfant ma soeur, ramons avec ardeur, le merle moqueur, ah! comme la neige a neigé, les blés sont mûrs et la terre est mouillée, jamais je ne t'oublierai...

Parfois, elle imagine le monde après qu'elle aura disparu. Qui viendra s'installer dans leur maison? Subsistera-t-il quelque chose d'eux dans l'air? Tout ce qu'ils ont été s'envolera-t-il avec son dernier souffle? Elle s'est tellement acharnée à les garder vivants, vivants et ensemble, tous les trois. Depuis si longtemps, elle s'applique à rattraper les mailles qui ont glissé de l'aiguille. Vivre n'est pas une affaire facile, mais on finit par vouloir s'incruster, même lorsqu'il ne nous reste rien d'autre qu'une poignée de souvenirs que l'on serre contre soi comme le plus précieux des trésors. Un trésor mité.


VLB éditeur - 230 pages