En persan, Syngué sabour est le nom d'une pierre noire magique, une pierre de patience, qui accueille la détresse de ceux qui se confient à elle. Sous le poids des confessions, la pierre explose et libère la personne.

Une femme est au chevet de son mari, l'homme qu'elle aime un peu malgré tout. Cet homme est alité avec une balle dans la nuque, dans un coma profond. La femme déverse sa haine de sa condition de femme dans un Afghanistan livré à la guerre depuis trop longtemps, à des règles oppressantes où les femmes ne sont rien, que des objets livrés à la puissance des hommes et au diktat des belles-mères.

Un récit ponctué par les souffles de l'homme, le décompte des gouttes dans les yeux, les appels à la prière, le silence, les visites d'un adolescent, autre victime de cette société bouleversée.

Cette histoire se lit d'une traite. Elle est construite de phrases courtes, sèches qui s'enchaînent en un flot toujours fluide malgré le sujet, la force et parfois la brutalité du propos, des scènes. Un climat lourd, oppressant exacerbe les émotions fortes qui vous prennent aux tripes. Parfois, il est bon de faire une pause. Mais c'est pour mieux revenir au récit de cette femme, digne, superbe, comme pour la soutenir. On souhaite pour son salut qu'elle puisse aller jusqu'au bout de tout ce qu'elle a sur le cœur, sur l'âme. En fait, le corps presque sans vie de son époux est sa pierre de patience à elle. Elle y déverse tout ses secrets les plus inavouables, ses craintes, les peines pour mieux vivre par la suite. Enfin, s'il est possible d'être apaisé dans un pays où la guerre et la religion mettent tout à feu et à sang, où l'on vit continuellement avec la peur au ventre depuis tant d'années.

Via les propos de l'épouse, on comprend mieux également tout ce qui pèse sur les hommes. Le poids de l'Honneur, la nécessité de prouver que l'on est un homme. Car l'auteur n'oublie pas les hommes dans cette histoire. C'est ce qui fait que son récit est exprime là toute son humanité.

La fin est assez mystérieuse, très ouverte. Cette femme est-elle frappée à mort pour ses péchés et confessions ou renaît-elle ? La pierre de patience a-t-elle effectué son office ? A chaque lecteur d'imaginer la fin.

A vous de lire et de vous faire votre opinion.

Du même auteur : Le retour imaginaire, Terre et cendres

Dédale

Extrait :

Elle revient remplir la poche de la perfusion. « Maintenant, je comprend enfin ce que disait ton père à propos d'une pierre sacrée. C'était vers la fin de sa vie. Toi, tu étais absent, reparti une fois de plus à la guerre. Il y a quelques mois, juste avant que tu reçoives cette balle, ton père était malade ; et il n'y avait que moi pour s'occuper de lui. Il était obsédé par une pierre magique. Une pierre noire. Il en parlait sans cesse... comment l'appelait-il, cette pierre ? » Elle cherche le mot. « Aux amis qui venaient lui rendre visite, il demandait systématiquement de lui apporter cette pierre... une pierre noire, précieuse... » Elle enfonce le tube dans la gorge de l'homme. « Tu sais, cette pierre que tu poses devant toi... devant laquelle tu te lamentes sur tous tes malheurs, toutes tes souffrances, toutes tes douleurs, toutes tes misères... à qui tu confies tout ce que tu as sur le cœur et que tu n'oses révéler aux autres... » Elle règle le goutte-à-goutte. « Tu lui parles, tu lui parles. Et la pierre t'écoute, éponge tous tes mots, tes secrets, jusqu'à ce qu'un beau jour elle éclate. Elle tombe en miettes. » Elle nettoie et humecte les yeux de l'homme. « Et ce jour-là, tu es délivré de toutes tes souffrances, de toutes tes peines... comment appelle-t-on cette pierre ? »


Éditions P.O.L - 155 pages