Anwel/Gabriel, prisonnier d'un corps qui ne répond plus, va mourir. Il n'a que 20 ans et attend, sans espoir de rémission, une fin qui ne saurait tarder. Pris en charge par sa tante Sarah, il passe ses journées alité et ses pensées le ramènent 10 ans en arrière. À quelques kilomètres de là, Finnigan, accompagné de son fidèle chien Surrender, épie les habitants de Mulyan. Il est particulièrement intéressé par la découverte récente d'os humains.
La narration alternée laisse la voix tour à tour à l'un des deux garçons et chacun raconte sa version des faits...

Dix ans plus tôt, dans une petite bourgade australienne bien tranquille, les parents d'Anwel sont très inquiets du "qu'en dira-t-on" ; surtout depuis la mort étrange de leur fils aîné, Vernon, un enfant attardé. Depuis ce terrible accident, leur cadet Anwell est devenu un enfant solitaire. Sujet aux moqueries récurrentes de ses camarades d'école. il passe ses après-midi dans le jardin de la maison. C'est là qu'il rencontrera Finnigan, un jeune gitan incontrôlable et libre comme le vent. Ce dernier lui propose un étrange marché : pour qu'Anwell puisse avoir une vie d'ange et se contenter de faire le bien, Finnigan se chargera de toute la sale besogne...
Quelques semaines après ce pacte, les premiers incendies se déclarent à Mulyan.

La plume de Sonya Hartnett est à la fois précise et poétique. Il y a un vrai plaisir des yeux et de l'âme à se perdre dans cette écriture qui jongle avec les métaphores et les émotions. L'auteur installe dès les toutes premières lignes une ambiance lourde et oppressante qui met le lecteur en alerte, et le rythme est maintenu jusqu'à la toute dernière page. En choisissant la narration alternée, Sonya Hartnett nous permet d'entrer dans l'intimité des deux protagonistes, et montre toute sa maîtrise du roman psychologique.
Réduire Finnigan et moi à un roman d'apprentissage serait une grave erreur. Certes, Anwell et son camarade vont passer de l'enfance à l'âge adulte au cours des 300 pages qui forment ce récit, mais il ne s'agit pas là de n'importe quelle adolescence...

Finnigan et moi est donc avant tout un formidable thriller psychologique. Formidable car l'auteure a la décence de ne pas prendre son lecteur pour un idiot, en se sentant obligée de mettre les points sur les i. Ce qui est époustouflant dans ce roman, c'est la capacité de l'auteure à rester dans le non-dit et l'ambiguïté, tout en parvenant parfaitement à nous faire comprendre de quoi il s'agit. En effet, le lecteur attentif devinera dès les 30 premières pages quelle est la nature de la relation qui unit les deux garçons, mais loin de gâcher le suspens, ce doute - jusqu'à la dernière page, on se méfie de ses propres déductions - ne fait que renforcer le récit. Parce que l'on devine, parce que Sonya Hartnett laisse ça ou là, des indices confortant le lecteur dans ses suppositions, on ne peut se détacher de cette histoire.
J'ai été émerveillée par la maîtrise dont Sonya Hartnnet fait preuve dans ce roman. Le sujet qu'elle a choisi de traiter est particulièrement difficile et "casse-gueule". Et pourtant, elle ne trébuche jamais, ne verse pas une seule fois dans la caricature ou la facilité. Au contraire, Finigan et moi est un roman fascinant et éblouissant de justesse. Voilà bien longtemps que je n'avais pas été à ce point subjuguée par un roman.
Une fois commencée, il m'a été impossible d'interrompre ma lecture et j'ai redécouvert l'exercice périlleux de lire en marchant. Quand l'écriture est somptueuse et que le récit est mené de main de maître, il est difficile de résister. En fait, on n'a aucune envie de résister... On devient victime consentante et heureuse de l'être.

Finnigan et moi est le premier roman de Sonya Hartnett à bénéficier d'une traduction française. Auteure connue et reconnue par la critique, Sonya Hartnett a déjà publié une vingtaine de romans chacun traversé par la thématique de l'enfance et de l'adolescence. Il ne reste qu'à souhaiter que les éditions du Serpent à Plumes continuent sur leur lancée et publient très bientôt les autres titres de cette auteure de talent.

Voir aussi l'avis de Clarabel, qui elle aussi a beaucoup aimé pour des raisons apparemment un peu différentes.

Du même auteur : L'enfant du fantôme, Une enfance australienne

Laurence

Extrait :

Je me souviens de la première fois que je l'ai vu.
Je me rappelle le bruit; et le regard sauvage qu'il avait, je me le remémore, enveloppé dans l'été. Je n'ai pas oublié le calme du jour et la densité de l'air.
Nous n'avions, ni l'un ni l'autre, pas plus de neuf ou dix ans. Je jouais avec une voiture sur la barrière du jardin quand Finnigan, pieds nus, a traversé mon champ de vision. Au début, j'avais fait celui qui n'avait pas remarqué sa présence ; puis j'avais feint de m'en ficher royalement. Malheureusement, la voiture qui roulait entre mes doigts avait eu un soubresaut puis était tombée.
J'avais jeté un coup d'œil au nouveau venu. À l'école, on nous avait projeté sur un mur un film qui parlait d'animaux sauvages ; grâce à ça, j'avais identifié sans hésiter la bête curieuse qui me dévisageait : c'était une hyène.
Ses yeux sombres étaient écartés. Ses pupilles étaient si dilatées que je ne voyais pas de blanc dans ses yeux. Il ne bougeait pas, ne pipait pas mot; nous avions le même gabarit et, pourtant, rien qu'en l'ayant entraperçu, je savais qu'il pouvait me casser le bras s'il le désirait.
Nous étions taillés sur le même patron ; nous avions le même âge, les mêmes longues jambes, mais pas la même nature : lui relevait de la hyène, et moi... du petit papillon poussiéreux des montagnes.


Éditions du Serpent à Plumes - 313 pages