Il la désire; elle aussi peut-être. Elle veut discuter ; il écrit à son corps. Elle veut faire corps avec Haïti ; il lui refuse. Est-elle paternaliste ? Est-il macho ? Ils se rencontrent et veulent échanger pour réaliser que malgré tout leur désir de se retrouver, le fossé reste immense, infranchissable peut-être.

Ils s'écrivent des lettres. On aurait envie de dire des courriels tant le format court et incisif est profondément moderne. Personne ne le précise, mais on imagine bien en effet, que la relation se tisse par écrans interposés. Des lettres comme des caresses quelque fois, mais souvent comme des gifles. Et chaque fois, chaque fois, tellement justes et puissantes. L'âpreté du désir, la difficulté de la rencontre. Éblouissant et épuisant à la fois.

J'ai lu le livre en une soirée. Ça fait peu pour son prix, direz-vous. Pas si mal si on considère que je l'ai relu deux autres fois depuis !

On reconnaît ses lettres à elle par les italiques, et on se laisse porter dans ce match difficile qui transporte, étreint, révulse par moment. Vous savez, chers lecteurs de ce site, combien j'aime Lyonel Trouillot. Et pourtant, pourtant, ce que je la comprends elle dans cet échange. Ce que je la comprends de vouloir pouvoir poser un regard extérieur et intime sur cette terre qui n'est pas la sienne. Ce que je la comprends de vouloir discuter, d'être cérébrale même s'il la ramène sans cesse vers son corps. Ce que je la comprends de louvoyer entre les îles de son désir pour tenter de gagner la joute argumentaire sans s'étendre.

C'est bien entendu ce que j'en ai retenu, parce que c'est en fait un livre ouvert qui appelle à l'interprétation diverse de chacun. Et en le terminant on retourne lire l'avertissement du départ. Et on se rappelle qu'il nous est impossible de savoir ce qui est biographique dans cet échange et ce qui relève d'une construction fictive, d'un exercice de style autour d'un thème à exploiter.

Et on se dit que ça ne change rien aux questions importantes qui nous restent en bouche la lecture terminée. Sommes-nous vraiment condamnés à ne jamais nous trouver ?

Lire aussi l'interview de Lyonel Trouillot sur Biblioblog.

Autres romans de Lyonel Trouillot :
Yanvalou pour Charlie
L'amour avant que j'oublie
Thérèse en mille morceaux
Bicentenaire
Les enfants des héros
Rue des pas perdus
L'éloge de la contemplation
La belle amour humaine

Par Catherine

Extrait :

ÉTUDE COMPARATIVE DES PUTES ET DES EXPERTS

J'ai rendez-vous avec des spécialistes. On va parler de la faim et des grossesses précoces. Les institutions internationales! Ce sont les nouveaux flibustiers. Chez eux, ils n'étaient rien. Ils partent en voyage pour devenir quelque chose. Tu as beau dire, cela pue le CV et le copié-collé. Moi, les putes que j'aime ne parlent pas la langue de bois des conventions dans des salles climatisées. Plus que la littérature, le lit de la prostituée est bien un mentir vrai : la matière de l'absence. Cette femme à Carrefour, c'était toi et une telle, et une telle. Le compte n'est pas bon lorsque je pense à elle : c'est un grand sacrifice d'être un dernier recours.

Peux-tu être un dernier recours ?

MISE AU POINT

Prenons le temps du vouvoiement, voulez-vous. Je ne sais ce qui me pousse à vous écrire. Et le saurais-je que je resterais tendue dans cette quête.

Qui de vous ou de l'Haïtien m'écoute et me comprend ? Qui de moi ou de l'Étrangère vous parle et se défend ?

Le corps des femmes a longtemps servi le dessein des hommes. Et par un éternel retour l'homme vient habiter le sexe qui l'a engendré. Sans qu'aucune femme ne puisse suffire. Aucune. Ni toutes. Restant interdite, la mère pèse sur les tremblements de la masculinité.

Comment par mon sexe être un dernier recours ?

Cher et talentueux idiot, « il est difficile d'attraper un chat noir dans une pièce sombre, surtout lorsqu'il n'y est pas ».

Ne vous y trompez pas.


Éditions Actes Sud - 121 pages