À la fin des années 50, Frederic Summers, un homme d'affaire milliardaire, doit épouser Sylvia West, mais ignore tout de son passé. Il confie donc à Alan Macklin, privé de son état, le soin de découvrir qui elle est réellement. Mais ce dernier ne dispose pour cela que de très peu d'éléments (une photographie, une carte manuscrite et un recueil de poèmes écrit par Sylvia) et a l'interdiction formelle d'entrer en contact de quelque façon que ce soit avec la jeune femme. Bien sûr, Alan Macklin suppose dès le départ que le patronyme utilisé par Sylvia n'est qu'un nom d'emprunt. Mais comment retrouver le passé de quelqu'un à partir d'un seul prénom ? Et celui-ci est-il réellement le sien ?  Autant dire que l'enquête s'annonce dès le départ vouée à l'échec. Pourtant Alan accepte, malgré ses réticences, et commence alors un véritable travail de fourmi...
Mais avant d'aller plus loin, laissez-moi vous présenter Alan Macklin : spécialiste d'Histoire Ancienne, cet ancien universitaire était destiné « à enseigner dans un établissement quelconque; mais la vie en a décidé autrement ». Alan n'est donc pas un privé comme les autres : érudit, maniant la langue avec facilité et précision, il ne s'est jamais satisfait de ce métier qu'il juge souvent méprisable. Le lecteur comprend dès les première pages que l'enquête écrite par Howard Fast ne ressemblera à aucune autre...

Sylvia n'est pas un polar au sens strict du terme : pas de cadavre, pas de rebondissements, de courses poursuites ou d'armes à feu. Alan, comme tout bon historien, étudie les indices un à un, avec minutie, ce qui lui permet de retrouver la ville de naissance de la jeune femme. À partir de là, l'enquête progressera au fil des rencontres et des discussions avec ceux qui ont croisé la vie de Sylvia. Mais les découvertes d'Alan trouveront des échos dans son propre parcours, et plus  l'enquêteur en saura sur Sylvia, plus il doutera du bien fondé de sa mission.

La première chose qui m'a surprise, c'est à quel point cette histoire n'a pas pris une ride : publié au début des années 60, ce roman reste d'une modernité saisissante tant dans l'écriture que dans le traitement de l'intrigue. La plume d'Howard Fast est d'une grande fluidité, extrêmement agréable à lire. Alors que tout se joue dans les échanges entre les personnages et les monologues internes du narrateur, je n'ai ressenti aucune longueur, aucun essoufflement. On est suspendu aux lèvres des différents témoins, captivé par la sagacité d'Alan et sa façon toute singulière de démêler les fils de l'écheveau. De même, les portraits croisés de Sylvia et Alan, qui se dessinent page après page, sont fascinants et intrigants.
Et puis, à travers le parcours de Sylvia, Howard Fast nous présente une Amérique des années 50 bien loin du rêve américain. Il y a quelque chose de bouleversant dans la destinée de cette femme, dans sa volonté de s'en sortir.

Sylvia est réellement un très bon roman et une fois ma lecture achevée, je me suis demandé s'il était pertinent de l'avoir publié dans une collection « polar » qui réduit, de facto, les lecteurs possibles. Avant d'être un polar, Sylvia est un roman magnifique.

Laurence

Extrait :

Quatre heures du matin. Je suis réveillé, sans espoir de me rendormir à cette heure maladive de la nuit qui finit. Après ma douche, j'ouvre une boîte de jus d'orange glacé et une cigarette aux lèvres, me mets à la fenêtre : j'aime contempler à travers les brumes matinales, les petites lumières clignotantes de la ville basse. Quand je suis réveillé entre cinq ou six heures du matin, je m'attendris sur mon sort. Je m'observe par le mauvais bout de la lorgnette. Et j'aperçois un fragile petit amas de matière tremblotante, insignifiante et absurde. Vaste est le monde, infini l'univers ; Alan Macklin peut ouvrir le gaz, mettre sa tête dans le four : il y aura six lignes dans le Times et quelques paroles de regret de cinq ou six amis. A cette heure-là, je suis le plus solitaire des hommes. Mais ce matin-là n'était pas comme les autres.


Éditions Rivages/Noir - 296 pages