Dès la première nouvelle, Choc frontal, Franck Bellucci donne le ton à l'ensemble du recueil. Le pire ici est la disparition soudaine de l'autre, l'accident fatal, l'appel téléphonique en pleine nuit, le refus de la réalité. Ce premier récit, raconté à la troisième personne, laisse transparaître la tempête des émotions qui agitent celui qui reste et doit continuer malgré tout.
Mais le pire a bien des facettes, et Franck Bellucci, en s'immisçant dans la vie des uns et des autres, va nous en dévoiler quelques autres : il y a la maladie, l'infidélité, le veuvage, l'héritage, le divorce et la folie, tous les visages de la folie....
Franck Bellucci dissèque ici tous les excès de l'amour et plonge, avec un plaisir parfois sadique, dans ce que l'humain peut avoir parfois de plus noir et inavouable. En ce sens, certaines des histoires proposées ici sont assez effrayantes. Je pense notamment à Diptères et autres merveilles, Et pourtant, je l'aimais ou encore Une grande amoureuse. Parfois aussi, la plume de l'auteur se fait plus douce et attentive et montre comment certains amants tentent de garder le meilleur quand le pire a sonné à la porte (L'abandonné, Un père qui pleure, Témoignage).
L'ensemble se lit facilement, mais je regrette cependant que certains récits ne sombrent trop souvent dans un pathos inutile. Ainsi, l'écriture de Monstre est inutilement lourde et redondante, et les nouvelles à la première personne manquent parfois de la distanciation qui en ferait des récits exemplaires. A contrario, dès que l'auteur use de la troisième personne, les histoires prennent une dimension bien plus intéressante. Une lecture en demi-teinte, donc, mais dont je garderai quelques portraits saisissants de cruauté et de désespoir.
Du même auteur : Ce silence-là, L'invitée
Laurence
Extrait de Choc frontal :
Cela commence par une voix. Cette voix du téléphone, une voix inconnue mais douce qui s'efforce de lui parler lentement, distinctement, pour qu'il comprenne bien. Cette voix qui lui dit que son épouse vient d'avoir un accident et qu'il faut donc qu'il se rende le plus rapidement possible au centre hospitalier Pierre et Marie Curie. Oui, c'est sérieux, très sérieux, le choc a été violent, frontal. Avec un camion de marchandise qui roulait en sens inverse. Il est donc indispensable qu'il vienne, qu'il se présente à l'accueil, au rez-de-chaussée du bâtiment D. Quelqu'un l'y attendra. Une infirmière ou une aide soignante. Oui, bien sûr, il peut, s'il le souhaite, apporter quelques affaires pour sa femme, une chmise de nuit ou un nécessaire de toilette par exemple, mais ce n'est pas le plus important, non, le plus important c'est de faire vite.
Ensuite, une fois qu'il a raccroché, il s'efforce de garder son sansg froid, de rester calme; c'est indispensable. Ne pas perdre pied, ne surtout pas laisser l'angoisse monter, l'étrangler ou le terrasser. La maintenir à distance pour qu'elle ne le submerge pas. Ne pas craquer, non, ne pas craquer, pas tout de suite en tout cas, et ne rien laisser paraître, pour ne pas affoler les enfants que la sonnerie du téléphone a réveillés et qui déjà se trouvent-là, tous les trois devant lui.
Éditions Demeter - 143 pages
Commentaires
mardi 24 mars 2009 à 22h47
L'écriture étant un jeu et non pas un commerce, il ne devrait, alors, jamais être question de politique...ment correct !
Cela n'engage que moi, évidemment.
Mais c'est pourquoi, j'ai envie de défendre des nouvelles qui vous ont, apparemment, semblé trop "extrêmes".
Ce qui a pu vous effrayer n'est pas moins louable, et relève -tout autant- de "la nature humaine".
Si certains récits peuvent évoquer, par le subtil impressionnisme de leur écriture...des films -chers aux coeurs de nombreux quadragénaires- de Claude sautet, d'autres histoires, par leur aplomb assumé, font irrésistiblement penser à de grands auteurs des siècles passés (J. Barbey d'Aurevilly ; Choderlos de Laclos), lorsque le crime, payant ou non à long terme, semblait souvent diablement jubilatoire !
mercredi 25 mars 2009 à 07h27
bonjour BernatZé,
je crois que vous m'avez mal lu.
Je n'ai jamais été choquée ou effrayée par des textes trop extrêmes, et je vous invite d'ailleurs, si une plongée dans ce que l'âme peut avoir de plus noire, à lire La famille royale de William T. Vollmann. Non, ce que je n'ai pas aimé dans la nouvelle Monstre, c'est le style et non le fond : les répétitions et la surenchère ne m'a pas paru servir le sujet. Quant à J. Barbey d'Aurevilly et Choderlos de Laclos, se sont sans nul doute d'excellentes références. 
jeudi 26 mars 2009 à 20h41
Je suis particulièrement heureux et soulagé d'apprendre que vous êtes moins impressionnable que je ne le craignais initialement (!)
A propos de références en matière de "noirceur d'âme", j’ai précédemment commis la monstrueuse erreur d’oublier de citer l’incontournable roman de Wilde, « Le portrait de Dorian Gray » !
Cela étant, concernant « Monstre », je demeure totalement en désaccord avec vous lorsque vous estimez que « les répétitions et la surenchère » desservent le propos de l’auteur.
Considérant que l’auteur des faits...de ce qui se trame sous nos yeux ébaubis, n’est -bien sûr- pas l’auteur lui-même, tout n’est-il pas soudainement plus clair ?!
Il (l’auteur...vous l’aviez compris !!) a voulu s’amuser à « se mettre dans la peau », le cerveau plus exactement, d’une femme mortellement blessée par les trop longues années d’un mariage raté.
C’est donc simplement par empathie qu’il procède afin de peindre le portrait féminin, en déséquilibre (instable !), d’un esprit monomaniaque, puisque définitivement obnubilé par un seul et dernier objectif : celui de parachever superbement sa vengeance.
Ainsi, les répétitions relèvent de l’obsession d’une âme « quelque peu » (!) égarée ; de même la surenchère (voire...l’escalade verbale !) traduit logiquement la dérive et les excès d’un être humain « borderline » et « en boucle », comme d’autres (?) pourraient sans doute le résumer.
Vous aurais-je suggéré de faire de cette personne (de son vivant !) votre "meilleure amie" ?...
Euh...
...B.