Dans Ohio, il est question de mémoire, d'histoires de famille que l'on se raconte de parents à enfants, de l'influence de ces histoires, de ces vies sur l'avenir, comment elles forgent les personnalités.
Si Andreas a souffert des histoires de sa famille aux origines multiples et installée en Engadine, une province de Suisse, c'est tout le contraire pour Merete. Le jour où elle fait la rencontre d'Andreas, elle découvre qu'elle était une enfant trouvée à Durban.

A fil de ce récit, s'en suit des associations, des réminiscences, des flash-back incessants. L'idée principale du roman m'avait intéressé à prime abord mais au fur et à mesure de ma lecture, j'ai été très perturbée par la façon dont l'auteur a choisi de la traiter. Une structure hachée, des aller-retour à différentes périodes de l'Histoire, des paragraphes commençant souvent par une référence temporelle, une date pour présenter Andreas et Merete, ainsi que leurs familles respectives. C'est à se demander s'il ne faut pas tenir une ligne de temps pour s'y retrouver.
C'est une structure qui m'a assez vite posée problème. J'ai trouvé le procédé difficile à suivre. Ce n'est pourtant pas la première fois que je lis des romans basés sur ce système. Mais là, c'est à mon sens poussé à l'extrême et rend le récit difficile à appréhender. La sensation de passer très souvent, trop souvent du cop à l'âne ne m'a pas lâchée de toute ma lecture.

Parfois, quand le récit retrouve un cours plus linéaire, l'auteur fait apparaître des membres de la famille ou d'autres personnages secondaires sans qu'on sache rien de leurs liens avec Andreas ou Merete. Puis trois pages plus loin, l'information tombe. J'avoue que cela est assez perturbant. Très vite, il m'a fallu faire un dessin de la généalogie des deux familles pour pouvoir m'y retrouver. Ainsi il en va des personnages, mais cela continue aussi avec les évènements vécus par eux. D'un passage où vous êtes avec Andreas dans une chambre d'hôtel à Durban pour un paragraphe plus loin être transporté par association d'idée sur un chemin longeant une rivière en Suisse et dans la foulée dériver encore plus loin avec un toit effondré à Tel-Aviv.

Je vous passe d'autres associations d'idées que j'ai trouvé pour le moins surprenantes.

Je reprends ici une image utilisée par l'auteur que je transpose à cette lecture. C'est l'idée d'avoir entre les mains un grand sac contenant plusieurs pièces de puzzles de jeux différents. Je me suis souvent demander « à quoi peut bien servir cette pièce dans ce récit ? », « mais quel peut être le dessin final avec toutes ces histoires emberlificotées ? »

Pourtant, pourtant, dans tout ce mélange de mémoires, des distorsions que chaque personnage peut opérer consciemment ou non au cours des âges, j'ai bien aimé les lignes relatives à Roberto et Amalia, les grands-parents d'Andreas et leur grand rêve jamais réalisé d'aller vivre en Ohio. Si les portraits d' Andreas, Merette, leurs parents et grands-parents sont bien présentés, leur agencement par trop mélangé par un grand malström de vent leur fait presque perdre toute consistance. Pour preuve, j'ai à peine abordé en ces lignes le profil des personnages. Je n'ose imaginer mes impressions si ma lecture n'avait pu être faite sur toute une journée mais entrecoupée sur plusieurs moments, plusieurs jours.

Déception donc après cette lecture. Dommage que le choix d'une forme narrative si complexe fasse vraiment perdre de vue un fond qui pouvait être intéressant.

J'espère que ma déception ne touchera pas d'autres lecteurs.

Dédale

Extrait :

Il regarda sa main droite. Elle tremblait, et comme presque toujours ces derniers temps les taches brunes sur la peau se mirent à danser. Comme des abeilles, pensa-t-il, qui, prisonnières de leur héritage génétique qui les force à se comprendre, s'indiquent ainsi les itinéraires de vol pour atteindre leurs fleurs riches en nectar. Se souvenir du passé, pensa-t-il, était tellement plus facile que de comprendre ce qu'il était arrivé. Petit - il ne savait pas encore bien lire, les lettres pour lui étaient des images -, il avait gravé dans les écorces des arolles « OHIO », le H était une échelle, le I une route vers l'avenir encadrée de deux O : les bouches ouvertes de ses parents Roberto et Amalia, quand ils somnolaient sur le canapé en fin d'après-midi. Sa mère rentrait du travail, son père n'allait pas tarder à partir pour sa garde de nuit. Ils se tenaient les mais, leurs nuques étaient penchées en arrière d'une manière inquiétante et leurs bouches s'ouvraient de plus en plus, jusqu'à ce qu'ils se réveillent en sursaut, et le spectacle reprenait.
- Papa ? Répéta Andreas.
- Où es-tu ? Demanda Michele. Dove sei ?
La tombe de ses parents dans le petit cimetière de Celerina était vidée depuis longtemps, d'autres morts l'occupaient. Cent ans à peine après leur naissance, toutes traces de leur existence étaient effacées. Comme s'ils n'avaient jamais mis les pieds dans ce monde, pensa Michele, leur vie s'était définitivement rétrécie pour n'être plus qu'un point au croisement des latitudes et longitudes de leurs lieux de naissance : Averra et Brigida. Roberto avait porté les noms de ces deux villages sur la carte jauni qui, entourée d'autres, était accrochée au-dessus du nouveau téléviseur écran large qu'ils avaient acheté exprès pour Hélène.


Éditions Métailié - 169 pages
Traduction de l'allemand suisse de Yasmin Hoffmann et Maryvonne Litaize