Paul Colize revient donc ici sur la plus étrange affaire criminelle de Belgique : 28 assassinats non résolus, huit juges d'instruction, une centaine d'enquêteurs, deux commissions parlementaires, et toujours pas l'ombre d'une preuve. Dès l'avertissement l'auteur annonce à son lecteur que l'affaire des « tueurs du Brabant » a pour lui été un prétexte narratif et que l'histoire qu'il va nous conter est œuvre de fiction :
Vassili Skolovski, photographe de guerre en déplacement à Bagdad, reçoit un appel téléphonique très inquiétant de son meilleur ami Pierre, paparazzo de son état. Quelques heures plus tard, comme il le pressentait, il apprend que Pierre vient d'être assassiné dans une petite ruelle de Bruxelles. Ni une ni deux, Vassili prend le premier avion pour la Belgique et découvre que Pierre avait été embauché pour une étrange mission. Sur la carte mémoire que Vassili a retrouvée, pas de stars et ni de paillettes, mais deux hommes en train d'échanger une mallette dans le tribunal de Bruxelles. Qui sont ces deux hommes ? Quel est le contenu de la mallette ? Vassili n'a malheureusement pas le temps de se poser trop de questions et se retrouve la proie d'hommes de main pour le moins hostiles...

Dans La troisième vague, on retrouve son talent rare de manipuler le lecteur : on a beau essayer de démêler les fils, on se rend compte rapidement que l'on ne comprend que quand l'auteur l'a réellement décidé. Paul Colize n'use point de procédés faciles et fabriqués, et pourtant on est littéralement happé par son histoire. Les narrations croisées ajoutent au suspens général et finissent par se rejoindre avec une telle cohérence que l'on peste de ne pas l'avoir compris avant. Tout lecteur de polar est en effet un peu masochiste : pour qu'un polar soit réussi, il faut que l'auteur garde en permanence le contrôle, que le lecteur soit victime de son esprit retors. Il y a un vrai plaisir à découvrir que l'on s'est fait avoir comme un bleu, de ne découvrir qu'au dernier moment les tenants et aboutissants de l'intrigue. Or, Paul Colize est un maître du genre. Je ne sais comment il se débrouille, mais jamais je n'ai réussi à être plus maligne que lui. À chaque nouveau roman, je me laisse totalement avoir et La troisième vague ne fait pas exception.
Et puis, chose de plus en plus rare dans le genre du polar, il y a un style Colize, une plume singulière : une écriture précise et efficace, des retours à la ligne parfois étonnants mais donnant un rythme tout particulier à la lecture. Si l'auteur cette fois-ci semble avoir laissé de côté son humour grinçant, on retrouve cependant quelques éléments récurrents : une jeune femme rousse, un anti-héros dépassé par les événements, l'art de brosser des portraits en quelques mots bien sentis, une intrigue haletante et surprenante.

Oui, Paul Colize est un conteur hors pair, il n'y a aucun doute, et j'en suis personnellement convaincue depuis bientôt 4 ans. Je ne suis d'ailleurs pas la seule, puisque la préface élogieuse de ce nouveau roman est signée par Franck Thilliez. C'est donc avec une certaine émotion que j'ai appris que les romans de Paul Colize seraient désormais disponibles dans toutes bonnes librairies, et j'espère que ce n'est que le début d'une nouvelle et longue aventure. D'ailleurs, La troisième vague fait partie des dix finalistes du concours La plume de cristal (Prix du polar décerné dans le cadre du Festival international du film policier de Liège). Quand je vous dis que l'année 2009 sera celle de Paul Colize !

Pour ceux qui seraient intéressés par les faits, un dossier complet sur cette affaire, signé par Michel Leurquin, est proposé à la fin du roman. Dans la centaine de pages qui constituent cette annexe, Michel Leurquin revient sur les événements, les procédures judiciaires, les différentes pistes soulevées par les enquêteurs. Même si l'on peut regretter qu'il ne soit pas mieux rédigé (lourdeur de style, syntaxe aléatoire), ce qui est surprenant dans ce dossier, c'est à quel point, vingt ans après, les interrogations sont toujours aussi nombreuses. L'affaire n'est d'ailleurs toujours pas enterrée et plusieurs services tentent toujours de la résoudre.

Du même auteur : Back-up, Le valet de cœur, Les sanglots longs, Le seizième passager, Clairs Obscurs, Sun Tower, Le baiser de l'ombre

Laurence

Extrait :

Je plonge la main dans ma poche. En effet, c'est mon téléphone qui braille. L'écran m'annonce un appel de Pierre, mon confrère et ami, vautré dans son canapé, les pieds dans ses pantoufles, quelque part en Europe, entre ses starlettes et ses cabotins.
Je décroche.
Il va se mettre à crier. Il crie toujours au téléphone. Surtout quand je suis loin.
- Salut Pierre, comment va ?
Un silence profond me répond.
Pas un silence total. Il y a comme un souffle en arrière plan. Une animation lointaine. Je suis intrigué, je consulte le cadran. Je suis toujours en communication.
Je sors de la chambre.
- Pierre, tu es là ?
Je scotche le téléphone à mon oreille. Je perçois une respiration. Irrégulière. Douloureuse.
Tel un automate, je répète.
- Pierre, tu es là ?
Il n'a pas dit un mot, mais je sais qu'il est là. Cela fait plus de vingt ans que nous nous connaissons. J'ai appris à déceler ses manies, ses tics, ses soupirs. Un sale pressentiment s'immisce dans mes entrailles.
Le souffle se fait plus présent. Il a collé sa bouche contre le téléphone. Un mot se détache, un râle, plutôt.
- Antoine.
Encore quelques halètement, puis rien.
Le vide.
Seul dans ce couloir, en cette soirée de fin de monde, je hurle comme un forcené.
- Pierre, dis-moi quelque chose !
Je m'assieds par terre et reste prostré dans l'obscurité. Sans plus y croire, je répète.
- Pierre, merde, dis-moi que ça va.
J'écoute le chuintement qui me répond.
Un mot ricoche dans ma tête.
Son dernier mot.
Antoine.

La troisième vague
Éditions Krakoën - 420 pages