D'abord un style très dépouillé s'emploie à dessiner le portrait à plusieurs voix d'un homme, Lester Ballard, que l'ignorance, la solitude et la pauvreté ont poussé aux meurtres et à la folie. L'homme glisse peu à peu vers l'animalité, se détournant de ses semblables pour vivre dans la nature, le noir et le froid. Ce froid qu'est l'absence de chaleur humaine qui détache l'homme de sa condition. Ballard se déplace d'un endroit à l'autre, traînant ses maigres biens, jusqu'à ne plus avoir de toit, jusqu'à ne trouver une compagnie que parmi les cadavres de ses victimes.    
Loin du gore de certains thrillers, McCarthy s'emploie à suggérer plutôt qu'à décrire. Avec un minimum de mots, de ponctuation et de descriptions (autant physiques que factuelles), McCarthy écrit la déchéance. On n'en sait si peu sur Ballard que toute psychologie est exclue. Pas de récit d'enfance troublée, pas de traumatisme psychologique. Ballard est bien plus victime des hommes et de la société que d'une quelconque histoire personnelle. Il ne rencontre que des laissez-pour-compte de la société, les rebuts du rêve américain qui au mieux végètent, au pire se détériorent lentement au fil des générations. Abrutis d'alcool, de sexe et de néant, ces hommes et ces femmes régressent et s'excluent de la civilisation. A l'image de Ballard. Mais "à quel moment Lester est-il devenu un monstre ?",à quel moment a-t-il franchi le pas et abandonné tout repère ? La frontière semble si ténue entre ce meurtrier et ses contemporains que l'on peut s'inquiéter du sort de l'Amérique qui laisse grandir de tels serpents en son sein.    

Aucune analyse et pas de jugement. Je n'ai pas réussi à entrer dans ce texte d'une grande froideur. Je crois que pour moi, le portrait d'un homme tel que Ballard doit s'accompagner d'une investigation psychologique, totalement absente ici. J'aurais voulu comprendre mais il n'y a pas d'explications. Je reste donc à la lisière de ce roman et tenterai de revenir vers cet auteur avec peut-être Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme.

Du même auteur : La route

Ys

Extrait :

 J'en sais rien. Ils disent qu'il n'a plus jamais été bien après que son paternel s'est trucidé. Il était fils unique. La mère s'était cavalée j'sais pas où, ni avec qui. C'est moi et Cecil Edwards qui l'avons détaché. Il s'est ramené à la boutique et a raconté ça comme tu dirais qu'il pleut dehors. On est montés la-haut et on est entrés dans la grange et j'ai vu les pieds qui pendaient. On a simplement coupé la corde, et on l'a laissé tomber par terre. Juste comme on détache de la viande. Il est resté là à regarder, le gosse, il a pas dit un mot. Il avait neuf ou dix ans à l'époque. Les yeux du vieux ressortaient comme des écrevisses, avec la langue plus noire que celle d'un chow-chow. J'voudrais bien si un type veut se pendre qu'il le fasse avec du poison ou quelque chose pour que les gens n'aient pas à voir un truc comme ça. 


Éditions Seuil (Points n°P611) - 169 pages
traduit de l'anglais (américain) par Guillemette Belleteste