Or, qui dit aller chercher le chapeau de Kafka dit que ce sera moins simple qu'il n'y paraît, on s'en doute! Confronté à la bureaucratie, mais aussi à des problèmes techniques et à un malencontreux cadavre, Monsieur P. finira par tomber sur un manuscrit intriguant et une femme pour le moins déconcertante. Et il ne s'agit là que d'une des facettes de cette histoire puisqu'au risque de trop en dire, je ne peux pas trop parler de cet homme québécois qui a quitté le domicile familial, une enveloppe brune sur le siège du passager, ou de ces trois autres hommes qui sillonnent l'autoroute dans une voiture qui résonne de leur improbable conversation.
Bienvenue dans l'univers de ce bien étrange ouvrage. Ouvrage remplit de références littéraires à Kafka, bien sûr, mais aussi à Borges et à Calvino. Ouvrage qui réunit trois récits qui s'intercalent. Le quatrième de couverture parle de poupées gigognes, mais je dirais que la structure est plus complexe encore. Le principe des poupées gigognes est que l'une en contient d'autres. Ici, les liens sont multidirectionnels.
Au-delà du travail formel qui a son importance et qui est convaincant, la fin est à la fois surprenante et fascinante, comme un rêve beau et tragique. Le personnage de P., dont l'histoire reste la colonne vertébrale de l'ouvrage, est très drôle. J'ai beaucoup ri, pour être honnête, à la lecture de cet ouvrage. Surtout quand P. fait des listes pour se sortir de son bourbier.
Un ouvrage intelligent, vraiment, et bien écrit. Quelques petites mailles au tableau - où peut-être n'aies-je pas saisi l'ampleur de cet univers éclaté: des confusions et des absences de concordance. Par exemple, après des lignes et des lignes de réflexions et d'hésitations, Monsieur P. opte pour un ascenseur qui le laissera au 19e étage en s'arrêtant aux autres étages plutôt que d'emprunter un ascenseur express qui irait au 20e sans s'arrêter. Plus loin, en page 27 il est dit que le personnage principal a d'abord emprunté un ascenseur express. Quelques détails comme celui-là m'ont agacée. Je sais, si le diable est dans les détails, je suis possédée!
Par Catherine
La Recrue du mois est une initiative collective qui met en vedette le premier ouvrage d’un auteur québécois. Pour lire les autres commentaires sur ce livre vous pouvez donc vous rendre sur le site de La recrue du mois
Extrait :
P. ne peut résister à la tentation d'observer, grâce au cadran situé au-dessus des portes fermées, le parcours de l'ascenseur qu'il a laissé filer. Il laisse échapper un soupir à peine perceptible lorsqu'il voit que ce dernier s'arrête brièvement au douzième et, à la suite d'une pause de quelques secondes à peine au dix-huitième étage, revient à son point de départ. «Je serais déjà arrivé à destination si j'avais opté pour cet ascenseur,» se dit-il. Pendant ce temps, les ascenseurs «express» font moult arrêts entre les quarantième et vingtième étages et ne semblent guère enclins à revenir au rez-de-chaussée. Le troisième ascenseur n'a toujours pas bougé et demeure figé au troisième étage.
Finalement, l'ascenseur qu'il a laissé partir lège est le premier à revenir au bercail. Y a-t-il une façon de calculer la probabilité que le même ascenseur soit, à deux reprises, le plus rapide des quatre? Voilà la question que se pose P. cependant que les ascenseurs vont d'étage en étage, au gré d'une séquence dont P. ne peut deviner la logique. Évidemment, le facteur «humain» rend toute affaire plus difficile à appréhender. Les humains étant, majoritairement, imprévisibles et les ascenseurs étant, majoritairement, utilisés par des humains, il est à toute fin pratique impossible de prévoir le comportement des ascenseurs.
Éditions XYZ - 133 pages
Commentaires
lundi 16 mars 2009 à 20h32
Chère Québécoise, merci pour cette lecture et pour ce goût du détail, pour celui aussi des recherches formelles que notre littérature contemporaine, lassée peut-être de certains excès des années soixante, a trop résolument abandonnées, alors que la forme n'est pas un emballage : elle crée du sens.
jnf