Hélène, son mari Antoine et leur fille Lise, sont apparemment dans une situation financière précaire; ils ont absolument besoin de l'argent de la vente de la maison. Mais pour cela, il faudrait que les trois propriétaires et anciens amis se mettent d'accord. Si Paul ne semble pas vouloir faire d'obstruction, Hélène est persuadée que Pierre s'y opposera farouchement.

Derniers remords avant l'oubli est une pièce très sombre. Dès les premières répliques, Jean-Luc Lagarce met le lecteur-spectateur dans une position inconfortable en randant le dialogue hermétique et abscon : qui parle à qui? Qui est qui? Pourquoi sont-il là? Autant de questions qui ne trouveront de réponses qu'au fure et à mesure de la pièce. Si la mise en scène peut permettre au spectateur de trouver des repères, la lecture s'avère plus ardue, d'autant qu'il n'y a aucune didascalie auxquelles se raccrocher. Or toute la pièce repose sur l'incapacité de ces êtres à communiquer entre eux. Si donc vous êtes un adepte des narrations linéaires, il vaut mieux passer votre chemin. Mais si au contraire, vous aimez perdre vos repères et être destabilisé par une lecture, cette pièce est intéressante à plus d'un titre.

Ce qui est saisissant dans ce huis-clos, c'est à quel point les mots sont importants et à quel point, en même temps, ils sont un frein à la communication : les personnages répètent, reformulent, s'interrogent sur la définition de tel ou tel mot, hésitent, expliquent. Ils savent ou présentent qu'un parole peut-être définitive, qu'un mot peut tout gâcher. Alors ils sont vigilents, attentifs à leur propos... et malgré cela, aucun dialogue réel ne se met en place. Les personnages sont tellement attentifs à ce qu'ils disent, qu'ils en oublient d'écouter l'autre. Chaque intervention est donc une succession de monologue et l'ensemble forme une partition pour le moins dissonnante.
Pourtant, à travers ce dialogue de sourd, émergent tous les non-dits, les rancœurs accumulées au fil des ans, la peur de l'avenir, le deuil difficile d'une part de leur jeunesse. Mettre des mots sur ce que l'on a vécu pour tirer un trait et l'effacer de sa mémoire. Exprimer ses derniers remords pour pouvoir définitivement oublier. Ce qui est étonnant dans cette pièce, c'est ce que les mots ne disent pas, ce qu'ils cachent ou dévoilent malgré eux. Ce n'est jamais là où on l'attendait que les personnages semblent tout à coup s'entendre et se voir.

Il y a à peine un mois, Yohan nous présentait Juste la fin du monde du même auteur, et cela m'avait donné envie de découvrir l'univers de ce dramaturge. J'ai découvert dans Derniers remords avant l'oubli un texte fort mais qui porte une vision très pessimiste de l'être humain. Je n'ai pas eu l'opportunité de voir cette pièce en représentation, mais d'après ce que j'ai pu lire ici ou là, la mise en scène et le jeu des acteurs permettent d'alléger les propos de Jean-Luc Lagarce et on parle même de pièce drôle et rageuse. Ce qui en soi ne m'étonne pas car je sais qu'il peut y avoir un monde entre un texte et son interprétation. Je suis donc maintenant curieuse de voir ce texte porté par des comédiens.

Laurence

Extrait :

PIERRE. - Je suis content. Tu vas bien? Vous allez bien ? Est-ce que vous allez bien?
PAUL. - Je pensais que nous arriverions avant vous.
HÉLÈNE. - C'est Antoine, lui là, Antoine. Il est mon mari.
ANTOINE. - C'est-à-dire... la route est bonne, nous avons bien roulé, elle se souvenait parfaitement du trajet, rien n'a changé, elle trouve que rien n'a changé...
PAUL. - C'est Anne. C'est Pierre.
LISE. - Je m’appelle Lise
ANNE. - Bonjour. On se connaît, c’est idiot. Vous     devez vous souvenir, je me souviens parfaitement de vous, ne sois pas idiot, tu ne vas pas nous présenter l’un à l’autre, vous devez vous souvenir.
PIERRE. - Non.
LISE. - Je suis leur fille, la seconde fille, leur fille, eux deux, là.
ANTOINE. - Antoine. Je suis très content.
PAUL. - Ah, oui, excusez-moi, je vous demande pardon.
ANNE. - Je suis venue, mais c’était il y a de nombreuses années...
PIERRE. - Je ne me souviens pas, je vous le répète, on ne peut pas se souvenir de tout.
PAUL. - Paul. Enchanté.
ANTOINE. - Antoine, le mari d'Hélène. Le père de la fillette.
PIERRE. - Ah oui, enchanté, c’est ce que tu as dit? Enchanté, Pierre. Quelle fillette?
LISE. - Moi.
PAUL. - Laisse-le, s’il dit qu’il ne se souvient pas, il ne se souvient pas.
HÉLÈNE. - De toute façon, il roule trop vite.
ANNE. - Ce n’est pas très bien élevé.
PAUL. - Ce n'est pas son genre.
ANTOINE. - Je ne roule pas trop vite, je roule.
LISE. - Je ne suis plus une fillette.


Éditions Les Solitaires Intempestifs - 59 pages