Dans Tendre jeudi, Steinbeck se penche sur la vie de Monterey sur la côté ouest des Etats-Unis ou plutôt sur la petite communauté de la rue de la Sardine. Dans cette rue, tout le monde se connaît. Rien n'échappe à ses voisins. Depuis la guerre (la seconde mondiale), beaucoup de choses ont changé. Doc n'arrive pas à écrire son article sur les céphalopodes (ou pieuvres pour nous gens du commun). Avant la guerre, il travaillait à la capture d'animaux, essentiellement marins, et les vendait pour les universités. Maintenant, il se sent seul et cherche par tous les moyens à s'occuper l'esprit.
Ensuite, il y a Fauna, tenancière de L'Ours, le bordel d'en face. Elle se demande si la nouvelle arrivée, Suzy, fera vraiment l'affaire. C'est pas gagné d'avance. Le pire est que Fauna s'est pris de tendresse pour Suzy. De quoi faire couler la maison !

Tout cela peut paraître banal comme amorce d'histoire, mais le talent de Steinbeck fait la différence. Sous sa plume, tous les habitants de la rue Sardine, l'épicier Marie-Joseph, mexicain malin, escroc patenté et aimable comme un tigre, Mack, Hazel, Whitey n°1, Whitey n°2, clochards de leur état, Joe l’Élégant, cuistot pour Fauna, ont tous une idée derrière la tête pour aider leur ami Doc. Que ne feraient-ils pas pour aider le seul homme qui a toujours été présent pour eux, qui les dépanne de quelques dollars de temps en temps sans être dupe pour autant, qui les écoute et les conseille toujours ?

Je ne vous en dis pas plus. Je vous laisse découvrir cet ensemble d’hurluberlus, tous plus déjantés les uns que les autres. Les idées fusent, la bière et les pintes d'Old Tennis Shoes coulent à flots. C'est drôle, tendre, et aussi joyeux que ces larrons qui pour rien au monde n'avoueront qu'ils aiment Doc et les autres habitants de la rue.

Si vous voulez passez un délicieux moment, lisez ce Tendre jeudi. Laissez tout tomber pour les accompagner dans leur romantique projet. De toute façon, dès la première ligne, vous n'y échapperez pas, vous marcherez avec eux dans la combine. Attention !! Sourires aux lèvres garantis.

Dédale

Du même auteur : Des souris et des hommes, Rue de la Sardine, À l'est d'Éden, Tortilla Flat

Extrait :

Marie-Joseph évaluait Suzy comme une voiture d'occasion. Jolie silhouette, chevilles et jambes agréables. Pas assez de fesses et trop de seins. Mauvais signe. Une bonne putain a la poitrine plate. Joli visage, si elle était heureuse. Son visage reflétait son état d'esprit. Une vraie putain prote un masque. Elle est la même pour tout le monde, avenante, et on ne se rappelle rien d'elle le lendemain matin. Suzy n'était pas une fille qu'on oubliait. Elle offrait de gros risques. Suzy aimait les gens ou ne les aimait pas, ce qui en soit était dangereux.
Cacahuète, le neveu de l'épicier, qui époussetait des planches, fit un large sourire à Suzy.
Suzy alluma sa cigarette. Elle ne sourit pas, elle fit une sorte de rictus. Elle avait des lèvres bien pleines, une large bouche et, lorsqu'elle découvrait ses dents, quelque chose de chaud et de fraternel apparaissait sur son visage. Très, très dangereux. Malgré tout, elle avait l'air dur, mais pas cette insensibilité à laquelle on peut se fier. Elle n'était pas maligne et aurait aussi bien pu s'attaquer à Jack Dempsey. Tout bien considéré, Marie-Joseph aurait viré Suzy en moins d'une minute. C'était tout à fait le genre de femme à tomber amoureuse d'un gars sans s'être renseignée sur son compte en banque. Le genre à créer des tas d'ennuis sans rien apporter en échange. Par certains traits, elle ressemblait à Doc. L'épicier se dit qu'il mettrait Fauna en garde une nouvelle fois. Une fille comme ça en maison, c'est la faillite. Telle était l'opinion de l'épicier et c'était un professionnel. Lorsqu'il s'agit d'une maladie, on s'adresse au médecin. Lorsqu'il s'agit d'une putain, on s'adresse à Marie-Joseph. Seulement, ils peuvent se tromper tous les deux.
Ces évaluations et jugements furent presque instantanés et le temps que Suzy ouvre son paquet de cigarettes, en mette une dans sa bouche et l'allume, le jugement était complet.


Tendre Jeudi, de John Steinbeck - Éditions Le Livre de Poche - 107 pages
Traduction de J.-C Bonnardot