Après le drame, comment faire pour continuer à vivre sans les personnes qui nous ont chères ? Comment ne pas couler totalement face à l'absence ? Comment ne pas tomber à chaque coup insidieux des souvenirs ? Le poids d'un bras lors d'une sieste pleine de désirs. C'est le flacon de parfum de Laurent, l'impossibilité de s'en séparer. « Combien de temps dure une senteur ? »
Ce sont les moments de joie et de taquinerie entre Thomas et Lilas, celle qui le comprenait sans mots dire, d'un simple regard.

Mais la vie continue. Le temps ne s'arrête pas. Mais comment faire quand même le regard de votre fils, le survivant, vous est devenu insupportable.

Comme le regard de son fils l'exaspère ! Un regard en demande et elle n'a rien à donner, elle ne peut plus rien donner. Il faudrait qu'elle l'écoute, il faudrait qu'elle l'embrasse, il faudrait qu'elle prenne du temps où ils parleraient. Elle ne peut pas. Pourquoi la vie ne s'est-elle pas ouverte sur un vrai vide ?

C'est ce que l'auteur aborde à mots simples du quotidien, sans mélodrame, le manque, l'absence, l'envie de disparaître. L'enfant qui voit bien que sa mère ne l'aime plus mais il garde espoir. Il lutte à sa façon pour l'aider et ne pas sombrer dans ses propres souvenirs, sous le poids de sa propre douleur.

Il faut de temps à autre aspirer plus d'air quand l'asphyxie se déclenche, penser à déplacer les yeux pour éviter la pensée fixe. C'est un travail de souffrir discrètement, une surveillance de chaque instant.

Alors tous les deux, séparément avant de se retrouver peu à peu, se raccrochent à leur planche de survie. Claire s'abîme corps et âme dans sa peinture et un projet d'exposition. Thomas a son ami Walid et la découverte de l'écriture, la magie de la poésie.

Car il y a les amis, leurs mots, leur simple présence. Ces paroles lui servent encore de bouée quand le doute devient trop grand. Dans une vie, on rencontre ainsi des personnes qui vous encouragent au-delà de vos propres forces, qui révèlent de vous ce que vous ne savez pas, vous, souvent dévoré par votre propre jugement négatif...

C'est beau, tendre à la fois. Pas larmoyant pour deux sous. Mais les émotions sont là, rendues avec justesse. Parce que la vie, c'est cela. Cette vie, qui va comme elle va.

Dédale

Extrait :

Ils prennent la voiture parce que c'est Noël. Sans Laurent et sans Lilas. Noël, pourtant. Claire conduit jusqu'à la maison de campagne. Thomas ouvre la grille. Comme avant, elle grince, plus grise. La mort de Lilas grise tout. Est-ce que la mort de Laurent grise la vie de Claire ? Thomas range ces questions dans son sac à solitude et ici, à la campagne, sans Lilas, au matin de Noël, il déversera dans la rivière le trop plein de peine, la rivière engloutit ce genre de dons. Il l'a remarqué à plusieurs reprises, la première fois, quand son nez dans la glace un matin a occupé sur son visage un espace inquiétant et quand Lilas a ri aux éclats :
« Tu te déguises en Cyrano, aujourd'hui ? »
Il a posé les pieds sur un sol où marquaient encore les pas de Lilas, pris dans la boue après une averse. Claire remarquerait-elle ceux de Laurent ? Sa colère, ses agacements, il les supportait, moins aisément son visage rideau. Son nouveau visage sans Thomas dedans.
Ils montent les sept marches du perron où s'étagent les pots de géranium.
Claire ouvre la porte. L'odeur de tous ensemble saisit.
Comment avancer avec les ombres ? Sans doute à cause du froid plus froid, ils traversent vite le long corridor, déposent les bagages à la véranda. Thomas ouvre les volets. Avant, c'était Laurent. Claire lance un regard pas de haine mais presque, à son fils qui l'intercepte, l'ajoutant aux autres depuis l'été. On dirait un combat. Elle dit qu'elle descend embarquer la chaudière.
Thomas n'ouvrira pas les volets de la chambre de Lilas parce que derrière, il y a le jardin avec l'if qui chatouille les carreaux et le bord de la fenêtre. Ils regardaient parfois les oiseaux picorer les miettes de leurs Prince Lu. Le jardin sans Lilas, d'un coup dans les yeux, non.


Éditions Henry - 107 pages