Dans ce premier texte, assez violent sur le fond, transparaît les sentiments troubles qui ont pu unir ce père et cette enfant devenue quinquagénaire. Bien que vivant sous le même toit, à cause de la maladie de l'un, ils ne se supportaient qu'à peine, et la fille n'arrive pas à cacher le soulagement que représente cette disparition définitive. Une seule chose la tourmente : doit-elle respecter les volontés paternelles et que « ce cadavre fût purement et simplement abandonné, comme une carcasse de larve de libellule, à la place où il aurait chu » ?

Les huit textes qui suivent ne sont pas plus tendres. Avec beaucoup de cynisme et un plume amère, la narratrice nous parle tour à tour du divorce de ses parents, du remariage de sa mère, de la nostalgie de l'Algérie française, des écoles religieuses, de retournements de vestes familiaux, des non-dits qui tuent à petits feux. Seul le dernier texte, « Histoire de Margaret », semble plus apaisé : il est question de la seconde épouse du père de la narratrice, une femme douce, insouciante et aimante qui partagea leur vie pendant quelques années avant de fuir vers l'Afrique. Ce portrait est très émouvant car au-delà de l'immédiate sympathie que l'on éprouve pour Margaret, on comprend surtout que ce fut peut-être le seul être avec qui la narratrice a établi de réels liens filiaux. 
L'écriture de Victoria Horton est ample, les phrases s'étirent parfois démesurément, et le tout forme une mélopée lancinante. Grand Ménage est un roman très amer, mais j'ai reconnu cette France des années 50 et 60, cet héritage singulier parfois difficile à assumer. Or, ce Grand ménage ne semble pas avoir permis à la narratrice (ou à Victoria Hurton) de faire la paix avec son passé ; on sent toute la douleur encore prégnante, l'aigreur et la colère rentrée. Et peut-être est-ce cela qui m'a empêché de totalement adhérer au récit ; j'avais parfois la désagréable impression d'être l'otage d'un règlement de compte posthume qui ne m'appartenait pas.

Laurence

Extrait :

Si dans les dernières années de sa vie, il n'avait pas le sou, comme il disait, jamais il ne dérogea à sa condition première d'enfant béni du sor ; les économies de bout de chandelle, c'est fait pour les institutrices, même pas pour les vrais pauvres, qui se savent pas les faire.
Pour parler net, j'attendais sa mort avec une certaine impatience et je n'ai pas été déçue; la condition d'orpheline, à moi accordée dans le premier déclin de mon âge adulte, ne me parut pas moins légère d'avoir été si longtemps différée.


Quidam Éditeur - 138 pages