La petite Nanou a 7 ans, mesure un mètre quatre et déborde de malice malgré sa maladie. Sa tante Alice lui a offert un joli cahier bleu pour "dire tout ce qu'on a mal au cœur ou rigoler". Et des choses qui font mal au cœur, la petite Nanou en a à revendre.... Elle multiplie les séjours à l'hôpital pour que les docteurs puissent enfin soigner sa "maladie du sang", elle doit tout le temps faire attention à ne pas se fatiguer ou se cogner. Et comme si ça ne suffisait pas, elle ne peut même pas compter sur la présence de sa maman puisque cette dernière a une sclérose en plaque et passe elle aussi beaucoup de temps dans les hôpitaux (mais pas les mêmes). Le papa navigue donc entre deux hôpitaux et le domicile familial où la grande sœur de Nanou tente de trouver sa place d'adolescente. Heureusement, il y a tante Alice pour tenir compagnie à Nanou et lui apporter le réconfort nécessaire. Tante Alice, c'est une maman de substitution, une jeune femme énergique et merveilleuse qui arrive toujours à redonner le sourire à notre petite narratrice.
Un mètre quatre est sans aucun doute un roman plein de bons sentiments, et le sujet choisi était pour le moins délicat. Certes Anne de Rancourt est parvenue à ne pas tomber dans le pathos (ce qui est en soi extraordinaire si l'on pense qu'en plus de la maladie de Nanou il y a celle de sa maman) et propose un récit plein de vie et d'espoir. Malheureusement, j'ai été confrontée tout au long de ma lecture à un problème de vraisemblance dû au choix de la narration.
Pour nous raconter l'histoire de Nanou, Anne de Rancourt a opté pour la forme du journal intime; journal intime tenu par une petite fille de 7 ans, qui vient tout juste d'apprendre à écrire et qui ne se sépare pas de son "disquionnaire". Or 168 pages d'écriture à cet âge là ne me paraissent tout simplement pas crédibles. Quiconque a eu des enfants de cet âge-là, sait bien qu'il est très compliqué pour eux de tenir un journal sur la longueur. Or, notre petite Nanou parvient elle, à écrire un roman... Je veux bien que l'enfant soit surdouée, mais tout de même.
Et puis, il y a les mots de Nanou, et là encore encore, je n'avais pas l'impression d'entendre une enfant de 7 ans. Il est très difficile de "parler enfant" sans tomber dans la caricature, le dosage entre les expressions enfantines et les phrases plus construites est un vrai casse-tête. Casse-tête qu'à mon avis, Anne de Rancourt n'a pas réussi à résoudre. Que voulez-vous, quand la même petite fille utilise des métaphores du type "On rigole comme des baleines échouées sur la plage normande un soir de juin" et des des expressions de bébés tel "faire pipi-popot", j'ai dû mal à adhérer... Et des tels exemples, il y en a à la pelle dans ce roman.
La vraisemblance est une question primordiale en littérature : on peut nous faire avaler des couleuvres, à condition que cela soit bien fait. Thom avait abordé ce problème épineux sur son blog et je vais me permettre de le citer : "Vous ne pouvez pas exiger le vrai [...]. En revanche vous avez le droit d’exiger la vraisemblance : il faut que tout se tienne, que chaque élément obéisse au système installé
par l’auteur." Or le système établi par Anne de Rancourt ne tient pas la route, et ce par la forme même du récit. Dans le même registre, Oscar et la Dame Rose d'Eric Emmanuel Schmitt m'a semblé bien plus abouti.
Laurence
Extrait :
Merde, ça c'est un gros mot en vrai. J'ai pas le droit de le dire, Tante Alice elle l'a essayé avec moi pour voir s'il était vraiment gros, alors on l'a dit ensemble en file indienne, merdemerdemerdemerde : et puis merde à la fin, elle a dit, on a décidé que c'était un mot pas important et vraiment pas intéressant. C'est pas parce qu'il est dans le dictionnaire qu'il va nous intéresser, celui-là non mais, il se croit pour où celui-là merde alors, elle a dit.
Ça fait des ombres, à travers les persiennes, la nuit, dans notre chambre avec Valentine. Surtout quand il y a la pleine lune, avec les branche du noisetier qui viennent se frotter aux carreaux comme des grosses griffes fourchues de sorcières qui veulent m'emporter dans leur antre et me dévorer le foie. Je la réveille, ma sœur, quand j'ai la frousse. Je l'appelle tout bas tout fort et elle se réveille. Elle est pas contente et elle grogne.
Éditions Buchet Chastel - 172 pages
Commentaires
vendredi 10 avril 2009 à 18h42
__Bonjour, et merci d'avoir eu la gentillesse d'évoquer mon livre, même si vous ne semblez pas conquise à 100%. Je trouve ça très touchant que le livre ait sa propre vie après sa parution : le lecteur le "fait" au moins autant que l'auteur. Je respecte entièrement votre point de vue et vous remercie de l'avoir exprimé de cette façon directe et sans complaisance. Je me permets juste d'apporter une toute petite précision qui vous a sans doute échappé car elle n'est pas mentionnée sur la 4è de couv': Nanou, c'est moi. J'ai été malade pendant plusieurs années, mais un peu plus tard que Nanou. Certes, c'est un roman car les autres personnages sont imaginaires : Tante Alice, Valentine, Cynthia, et même les parents de Nanou sont en grande partie inventés, si ce n'est que ma maman avait réellement une sclérose en plaques qui s'est déclarée quasiment en même temps que ma "maladie du sang". Je n'ai pas voulu en faire un récit "pathos" tire-larmes, d'où mon parti pris de laisser la parole à la petite fille que j'ai été. Je l'ai écrit avec mon coeur de gamine, en dépit de mon grand âge. J'avais besoin de raconter cet épisode (longue durée) de mon histoire personnelle, mais lorsque j'ai tenté de le faire "de l'extérieur", avec ma voix d'adulte, cela virait immanquablement au mélo, aux larmes, à la pitié... Berk. Ca ne "tenait pas la route". Un beau jour, Nanou m'a tout bêtement virée de ma chaise, a mis un gros coussin (rouge bien sûr) dessus, et a dit : "c'est tout moi qui faut qui raconte, toi tu es une grande personne, tu racontes mal." Je me suis laissé faire, ça a fonctionné. "Rire comme des baleines (...) sur la plage normande (...)", c'est une expression de Tante Alice reprise par Nanou. Mais je ne veux pas avoir l'air de me justifier: j'ai adoré lire votre critique, qui sonne très sincère et que m'a signalée l'attaché de presse de Buchet-Chastel. Je viendrai voir votre blog de temps en temps, c'est tellement chouette que des gens servent ainsi la littérature en optant pour le point de vue subjectif ! (Avez-vous entendu parler de "Comment élever un ado d'appartement ?" ou "Je suis ronde et j'aime ça !" (éd Chiflet et cie)? J'y employais un tout autre ton et ma voix d'adulte impertinente et caustique sans vergogne !)
Bien à vous, Anna von
jeudi 16 avril 2009 à 08h58
Bonjour Anna,
désolée de ne pas vous avoir répondu plus tôt mais j'étais absente ces derniers jours. Pour la partie auto-biographique du roman, je m'étais posé la question; seulement comme rien ne venait le confirmer, j'ai préféré ne pas y faire allusion. Comme j'ai essayé de le dire (maladroitement peut-être) ce ne sont pas les événements qui m'ont paru factices, mais le choix de la narration. Oui, Nanou était près de vous, sur ce coussin rouge, quand vous avez écrit ce récit - je n'en doute pas - mais vous teniez la plume pour elle, et votre présence d'adulte se ressent ( aurait-il pu seulement en être autrement...). J'ai toujours trouvé qu'il était très difficile de "faire parler" un enfant de cet âge, surtout s'il est censé avoir écrit tant de pages.
Quoiqu'il en soit, je suis très touchée de votre passage ici et de votre fair-play. Merci pour vos mot et j'espère que vous reviendrez nous voir de temps à autre.
mardi 6 juillet 2010 à 22h18
Bonjour Laurence,
Je viens de lire ce livre et je comprends ton ressenti. C'ets vrai que ce parti pris de journal intime d'une si jeune fille aurait du mal à tenir la route, mais quand j'ai lu, je me suis un peu détachée de cet aspect, idem pour les fautes d'orthographe, elles sont rarissimes, mais si elles étaient plus nombreuses, ce serait encore plus illisible je pense. Pas facile de trouver l'équilibre...
mercredi 7 juillet 2010 à 12h00
Bonjour Lo et merci de ton passage ici.
oui, l'écriture "enfant" est vraiment très difficile à rendre… et je n'ai pas réussi, comme toi, à me détacher de la forme.
lundi 9 août 2010 à 21h49
Je viens de refermer le livre et j'ai encore un peu mal en bas du ventre...J'ai trouvé le sujet délicat merveilleusement traité, avec simplicité et poésie. Puisse ce livre apporter de l'espoir à tous ces enfants qui n'ont pas eu de chance et donner une belle leçon de vie à ceux qui oublient quelquefois leur chance, celle de vivre sans angoisse... L'écriture enfant permet de délivrer ce beau message avec détachement et fausse naïveté, je ne me suis pas posée la question de la vraisemblance, emportée par le flot des paroles et des émotions. La littérature permet ce tour de magie incroyable: donner la parole à des êtres de papiers réels ou non, de créer un univers, on sait bien que c'est pas la petite fille qui l'a écrit mais cela n'empêche pas de ressentir chaque mot, d'y croire le temps de la lecture et de voir notre réalité autrement...Je crois alors que le message est ici plus important que la technique narrative, l'essentiel étant de livrer des petits bouts de souvenirs touchants...et instructifs.
Merci pour ce message d'espérance, qui nous rappelle aux choses essentielles, la vie,éphémère,et les gens qu'on aime.