Selon un schéma désormais classique en littérature, Jonathan Coe a construit son récit sous la forme d'une double narration : les chapitres pairs se déroulent entre 1983 et 1984, quand les protagonistes finissaient leurs études et logeaient pour quelques semaines encore à la résidence universitaire de Ashdown ; tandis que les chapitres impairs nous projettent 12 ans plus tard, le temps d'un début d'été qui donnera l'occasion à ces anciens camarades de tous se retrouver. L'ensemble est divisé en six parties, correspondant chacune à un stade du sommeil.

1983 : dans la résidence universitaire d'Ashdown, une splendide bâtisse perchée sur les falaises anglaises, Sarah, la jeune narcoleptique, vient de rompre avec son petit ami Grégory. Ce dernier, obsédé par les paupières de sa belle, avait instauré un jeu pervers et dangereux que Sarah ne pouvait plus supporter. Elle tente alors de trouver un réconfort amoureux auprès de Véronica et une oreille amicale auprès de Robert. Pour que le groupe soit complet, il faut ajouter Terry, cinéphile passionné et grand dormeur devant l'éternel.
1996 : Ashdown est aujourd'hui une clinique spécialisée dans les troubles du sommeil dont le cynique Docteur Dudden est le directeur. Il vient d'admettre un nouveau patient - un critique de cinéma - qui prétend ne jamais dormir. Une occasion inespérée pour le Dr Dudden de parfaire ses théories, tout en assurant la renommée de son établissement.

J'ai littéralement dévoré ce roman : l'écriture est superbement maîtrisée, parfois même poétique - Jonathan Coe s'amuse des assonances et des allitérations, use de métaphores sans que cela n'alourdisse jamais le style, choisit ses mots avec minutie pour que l'ensemble forme une musique cohérente et aboutie. Et cela avec un humour tout "british" très appréciable. Les mots seuls suffisent donc déjà à satisfaire tout lecteur un peu exigeant. Mais La maison du sommeil n'est pas qu'un exercice de style. Jonathan Coe se révèle être un maître d'ambiance ; le récit flotte dans une atmosphère particulièrement inquiétante et chacun des protagonistes est détaillé, sculpté, façonné pour revêtir l'épaisseur nécessaire à la vraisemblance. La narration alternée donne une ampleur supplémentaire au récit, et l'apparente à une intrigue policière. Et même si j'ai deviné au deux tiers du roman l'un des ressorts principaux, cela n'a nullement gâché mon plaisir de lecteur. Tout au contraire, ma lecture n'a été que plus aiguisée et assoiffée. Une très belle découverte qui m'a donné envie de plonger un peu plus dans l'œuvre de cet auteur.

(Ailleurs dans la blogosphère :Allie, Laconteuse, Tamara ou Kesalul)

Du même auteur : La pluie, avant qu'elle tombe

Laurence

Extrait :

Énorme, grise et imposante, la propriété d'Ashdown se dressait sur un promontoire, à une vingtaine de mètres de la falaise à pic, qu'elle surplombait depuis plus d'un siècle. Toute la journée, les mouettes tournoyaient autour de ses flèches et de ses tourelles, avec des gémissements stridents. Jour et nuit, les vagues se brisaient furieusement contre la paroi rocheuse, et résonnaient comme un grondement de camions dans les salles glaciales et le dédale de couloirs de la vieille bâtisse. Même les recoins les plus vides d'Ashdown - qui n'étaient jamais silencieux. Les pièces les plus habitables se concentraient frileusement au premier et au deuxième étage, face à la mer, et dans la journée un froid soleil les inondait. La cuisine au rez-de-chaussée, était longue, en forme de L., avec un plafond bas ; elle n'avait que trois fenêtres minuscules, et était constamment plongée dans l'ombre. La beauté sinistre et arrogante d'Ashdown masquait le fait qu'elle était profondément inadaptée à toute présence humaine.


Éditions Folio - 451 pages