Sauver sa trace -  Alexandre Voisard

Quelques lignes, voilà tout ce que je pourrai consacrer ici à cette somme où rien ne pèse et où tout enchante. En avant-poèmes, le poète nous conte une histoire de muguet qu’on a cueilli dans l’idée de l’offrir à Maman et qu’on a oublié au coin d’une haie. Beaucoup est dit, déjà : la nature, l’enfance, la perte. Rien de convenu, Voisard surprend, il émeut. Son écriture offre l’exemple d’une quête véritable et sans complaisance « Rentrer en soi / retrouver cette fêlure qui / prétendait au statut d’âme » qui nous livre quelques poignantes confidences. L’auteur, pourtant, ne se prend pas au sérieux : « écrivons sinon pour rire du moins / pour nous réchauffer les doigts ». Il reste juste habité par le désir de « tendre une main désirante/vers l’encrier récalcitrant ». Cette parfait lucidité, cette liberté du ton, cette lucidité conquise font souvent penser aux derniers recueils de Jean Rousselot. A lire.

Extrait :

Encore un devoir de vivant
poser sa plume toute chaude
et reconnaître que la vérité
s'apprend de même que l'algèbre
avec une même crédulité
qu'elle ne tombe pas des cieux
et ne trône pas dans l'aura des livres
il est temps encore d'enseigner
le métier incroyable d'otage
goutte à goutte
en l'imminence de l'incision
dans l'artère déroutée.


Éditions Bernard Campiche - 200 pages.

Saisons du corps de Claire Genoux

Il vaut mieux ne pas lire d’emblée la quatrième de couverture. Ce n’est pas de pertinence que manque le propos d’Alexandre Voisard, mais de la grâce douloureuse qui fait la force des ces poèmes.

Claire Genoux atteint la simplicité que donne seule la véritable maîtrise de la langue et elle traduit en termes sensibles et renouvelés l’inquiétude éternelle devant le destin – à me relire, je m’aperçois qu’il m’arrive le même tour qu’à Voisard, mon texte sonne pompier à côté des siens, comme celui-ci, un jour de pluie : « et je voudrais dire nos vies / comme nous tombons goutte à goutte ». Elle s’interroge sur le retour à la terre de ce corps qui « sera libre / de cette liberté terrible de feuille morte ». Le recueil est construit, il oppose revendication désespérée d’une survie : « je baiserai la lèvre déchiquetée des chemins / ma bouche – même cousue d’un fil de pierre » et acceptation lucide, sinon sereine : « je partirai / et je ne me souviendrai plus d’avoir / un jour été ici ».

Extrait :

J’accepte Vie d’être votre hôte
de manger votre terre jusqu’à l’indigestion
de boire dans vos gobelets de craie
la lumière cachée des saisons le miel refroidi de vos fleurs
et mille liqueurs grossières

vous voyez j’obéis
les os bougent parfaitement dans le cuir de ma peau
et je colle mon ventre au ventre des hommes
j’obéis même si je me mouche dans votre nappe
que je crache dans vos plats

quand j’aurai bien ri bien usé la corne de mon cœur
j’accepte oui l’effroi
docilement dissoudre ma détresse de cadavre
mais durant cette sieste
enrobée dans votre drap de ravines
mon ventre bombé contre le ventre de la terre
que je jouisse de vos rêves de lait et d’astres
que tous ces repas de fortune pris jadis à votre table
aient la légèreté sur mon crâne et l’ivresse folle
d’une petite neige de printemps


Éditions Empreintes - 62 pages