François arrive à une période charnière de son existence : tout juste licencié de la librairie où il travaillait depuis des années, il voit arriver ses quarante ans avec appréhension. Il est à l'âge où l'on se retourne sur son passé, où l'on a besoin de retrouver ses racines avant de continuer son chemin. Or le seul élément dont il dispose est ce cliché censé représenter ses parents; cette photo qui semble pour lui sorti de l'album familial mais qui depuis quelques années envahit les présentoirs des magasins. Comment partager son enfance avec tous ces passants? Qui est réellement le couple de la photo? Et si toute son enfance reposait sur un mensonge? Pour en avoir le cœur net, François plonge littéralement dans la photo : il la décortique, l'analyse et élargit ses recherches à tous les objets qui symbolisent ces années 50 devenues à la mode au milieu des années 90.

Les amoureux de l'Hôtel de Ville n'est pas à proprement parler un roman - pas de début ou de fin, de narration linéaire - mais l'évocation de toute une époque, une mélancolie douce-amère portée par un narrateur perdu et désabusé. Le mythe familial est ici un prétexte pour explorer la France d'après guerre, et les rapports que l'on entretient avec son propre passé. L'écriture de Philippe Delerm (que je lis pour la première fois) est élégante et fluide; discrète, elle n'use pas d'effets de manche et reste au service du propos. Pourtant, j'ai glissé sur les pages, comme si ces souvenirs ne me concernaient pas vraiment. Certes j'ai retrouvé avec plaisir les ambiances capturées par les objectifs de Doisneau ou Cartier-Bresson, j'ai retrouvé sous la plume de Delerm des éléments de l'enfance de mes propres parents; mais peut-être faut-il avoir soi-même vécu ces années 50 pour que l'inventaire devienne réellement émouvant. Je ne m'ôte pas de l'idée que ces mêmes pages, lues par ceux qui ont vécu au temps des Dinky Toys, des figurines Mokarex et des films super-8, trouvent une résonance bien plus forte et intense. Une histoire de génération sans doute... Et puisqu'il est question de génération, je dédie l'extrait à celui que les Dinky Toys ont tant fait rêver...

Laurence

Extrait :

Les Dinky Toys, dans leur boîte de carton jaune - un dessin reproduisait le modèle sur l'un des faces -, étaient un plaisir compact, gravement soupesé dans la main qui découvrait, au fond du sac, le volume espéré. L'étui à peine ouvert, la voiture métallique roulait, entraînée par son poids, et glissait dans l'autre main qui prévoyait sa chute. Les Dinky Toys ne devaient pas tomber sur le sol, sous peine de perdre un éclat de peinture, et d'afficher une blessure grise. Car tout dans les Dinky Toys était métal, acier, authenticité pensante, jusqu'au moyeu des toues. D'une friction du pouce, on pouvait les propulser très droit - la voiture gardait docilement son rail sur les lame du plancher. J'avais une 2 CV, une 403, un camion-remorque avec une petite ficelle noire, une treuil et un bleu France, avec ses gros pneus noirs crénelés l'arrière en pointe, le petit bouchon dans le dos du conducteur.


Éditions Folio - 147 pages