Au cours du recueil, vous croiserez des personnages très hétéroclites, mais qui tous ont en commun d'être à un moment clé de leur existence. Comme souvent pour le genre de la nouvelle, les histoires délivrées ici privilégient l'efficacité : nous entrons dans le quotidien des divers protagonistes quelques heures ou minutes avant le dénouement. Dans ces textes, souvent très courts, le contexte est présenté en quelques mots, et l'écriture se concentre sur les émotions et les péripéties finales qui donneront un tout nouvel éclairage aux évènements. Nous sommes donc dans le ressort classique de la nouvelle à chute, celle que j'affectionne généralement le plus.

Parmi la galerie de portraits proposés par Agnès Laroche et Éric Rouzaut, vous ferez la connaissance : d'une vieille dame au caractère bien trempé; d'une jeune fille désespérée; d'une enfant sans papier; d'un petit garçon seul dans une grande maison; d'un homme prêt à tout pour l'avenir de sa douce; d'une famille morte dans d'étranges conditions; d'un PDG aux pratiques ignobles ; d'un homme rongé par le remord; d'un autre aux doigts d'or; d'une femme en deuil; d'une araignée possessive et de quelques autres encore. L'ensemble des intrigues est assez bien mené, et même si certaines fins sont un peu téléphonées, on se laisse séduire par l'écriture noire et caustique des deux auteurs. Le recueil se lit très facilement, c'est une respiration, une récréation bienvenue entre deux lectures plus conséquentes.

J'ai surtout découvert grâce à ce recueil, le travail des éditions Quadrature. Cette maison belge, créée en 2005, a pris le pari un peu fou de ne publier que des recueils de nouvelles de langue française; trois par an, pour être plus précis. Ils ont ainsi déjà publié Emmanuel Urien ou Jean Thirion. Je suis très heureuse de connaître maintenant cet éditeur et je suivrai avec attention son catalogue, car je reste persuadée que la nouvelle est l'une des écoles les plus exigeantes de la littérature et qu'elle n'a malheureusement pas assez de place dans notre paysage littéraire actuel.

A propos de Mal assise, lire aussi le billet de Cathulu qui a aimé sans aucune réserve.

Du même auteur : La drôle de vie d'Archie, Un copain de plus, Murder Party

Laurence

Extrait de Monsieur N'Bangué:

J'ai buté sur le corps brisé de Bertrand à quelque mètres à peine de l'entrepôt. Ses bras et ses jambes formaient des angles improbables que même une poupée de chiffon n'aurait pu imiter. Ses lèvres ont bougé, je me suis agenouillé et j'ai collé mon oreille à sa bouche.
- Terre... Terre...
Mais le vent par rafales tentait de me voler ses dernières paroles, alors je lui ai demandé de répéter, ce qu'il a fait plus fort cette fois :
- Terre!
Il a écarquillé les yeux en tapotant faiblement le sol de sa main droite, avant de chuchoter de nouveau:
- Terre... Terre...
Puis ce fut le Samu, les pompiers, la police et ma déposition. Oui, j'avais trouvé Bertrand gisant sur le parking de l'entreprise à sept heures ce matin. Oui, c'était mon meilleur ami. Oui, nous travaillions pour la même société. Non, je ne lui connaissais pas d'ennemis, pas de soucis. Oui, j'avais passé la nuit chez moi. Non, personne ne pouvait en témoigner. Non, je n'avais pas la moindre idée de la manière dont il était arrivé là en pareil état.
[...]


Éditions Quadrature - 124 pages