Comme à son habitude, Richard Matheson s'amuse de nos peurs et nos angoisses : la mort, la maladie, la vieillesse, la folie, la fin du monde... et transpose tout cela dans des univers parallèles, futuristes ou effroyablement proches du nôtre. En lisant les textes de Matheson, on retrouve la sensation délicieuse de l'enfance, quand on écoutait cachés sous nos draps, des histoires horribles parce que l'on savait qu'elles étaient tout sauf la réalité. Mais, Matheson arriverait même à nous faire douter de ce qu'est la réalité....

Parmi les trente nouvelles réunies ici, certaines mettent bien évidemment en scène un thème cher à Matheson : la vie extraterrestre. Dans Intrusion, par exemple, Matheson - bien avant Dan O'Bannon le scénariste d'Allien - nous conte l'histoire d'une grossesse plus qu'inquiétante : Ann est tombée enceinte pendant l'absence de son mari David, et maintient qu'elle ne l'a jamais trompé.  Avec Zoo, nous partons pour l'ouest américain, sous un soleil de plomb, aux côtés de Les et Marian; l'ambiance est moite, oppressante, mais le pire est encore à venir. Dans ce texte, Matheson réussit parfaitement bien à créer le malaise et le huis-clos fonctionne à merveille. Dans un tout autre registre,  Miss Poussière d'étoiles met en scène un concours de beauté intergalactique. Ici la plume est volontairement drôle et incisive.

Le fantastique pur jus, a bien évidemment une place de choix dans ce recueil : La maison du crime, Paille humide, L'enfant trop curieux, L'homme qui avait créé le monde, Funéraille, Un cas d'école, Les enfants de Noah, Une surpise de taille sont des textes qui évoquent les fantômes, les vampires, les distorsions spacio-temporelles, et autres effets paranormaux. Certains de ces textes ont d'ailleurs ensuite été adaptés pour la célèbre série Twilight Zone.

D'autres textes se déroulent dans un futur plus ou moins proche, comme La poupée à tout faire, Le voyageur, l'Indéracinable, Danse macabre, Au soir du monde ou Descendre. Dans ces trois derniers textes, on retrouve bien évidemment la peur de la bombe atomique, qui a inspiré nombre d'écrivains dans les années 50. Le test, censé se dérouler en 2003, est à mon sens encore plus terrifiant : dans une société où la productivité règne, les "vieux" ne peuvent être un poids pour les actifs. Alors, passé un certain âge, chacun doit aller passer l'examen qui déterminera la suite de son existence.

Enfin, on notera certaines nouvelles inclassables comme Cher Journal, Lemmings - deux textes aussi courts qu'efficaces -, Un mariage, Le conquérant, Une tripotée de donzelles, Le haut et gentil lieu, J'veux voir le père Noël ou Le distributeur. Dans ces récits, Matheson fait souvent preuve d'un humour grinçant et inattendu.

Dans l'ensemble j'ai donc retrouvé les thèmes chers à Matheson, et son art de construire ses histoires. Les textes de ce recueil sont plus longs que dans le tome précédent. Matheson prend cette fois plus de temps pour installer les décors, développer ses histoires. Pourtant, j'ai aussi trouvé qu'il n'y avait pas l'urgence, la tension permanente du premier recueil. Cela m'a d'ailleurs semblé au départ assez paradoxal, puisque chronologiquement, Matheson était bien plus libre dans son écriture en 1953 et 1954 que dans ses premières années de publication - en pleine époque du maccarthysme. Mais à la réflexion, peut-être était-ce justement par ce que la menace planait que ses textes de 1950 à 1953 ont une force si particulière....

Quoiqu'il en soit, cela m'a donné envie de lire le troisième tome (1954-2003) et La traque, (éditions Flammarion 2003), en attendant qu'un éditeur traduise un jour son tout dernier roman, Woman, paru en 2006.

Du même auteur : Nouvelles (Tome 1/1950-1953), Je suis une légende, Le jeune homme, la mort et le temps, La maison des Damnés

Laurence

Extrait de Zoo :

[...] Quand Les eut refermé le capot, ils reprirent place dans la voiture pour suivre la camionnette sur le chemin par où elle était arrivée.
"Il a un zoo, dit Marian d'une voix dénuée d'expression.
- Quelle aubaine!" Les embraya et la voiture quitta la petite éminence sur laquelle se dressait la station service.
"Ces zoos me mettent hors de moi", reprit Marian.
Ils avaient vu des douzaines de zoos depuis leur départ de Los-Angeles. Généralement installés à proximité des stations-service, ils servaient à allécher la clientèle, mais offraient invariablement des spectacles pitoyables : de petites cages indigentes où se recroquevillaient des renards efflanqués qui fixaient sur vous des yeux vitreux et maladifs, des serpents à sonnette léthargiques, parfois un aigle moucheté tapi dans un coin sombre qui vous jetait un regard furieux. Et le plus souvent, au centre du prétendu zoo, on tombait sur un loup ou un coyote enchaîné, une pauvre bête au poil hirsute qui tournait en rond au bout de sa chaîne, évitant de vous regarder, ses yeux injectés de sang fixés droit devant elle tandis qu'elle allait et venait interminablement sur des pattes squellettiques.
"J'ai horreur de ça, continua rageusement Marian.
- Je sais, ma chérie.
- Si nous n'avions pas besoin d'eau, jamais je n'aurais consentu à la suivre jusqu'à sa fichue vieille baraque."
Les sourit. "C'est ça, ma petite mère, dit-il tranquillement tout en essayant d'éviter les ornières. Oh." Il fait claquer ses doigts. "J'ai oublié de lui demander comment rejoindre l'autoroute.
- Tu lui poseras la question tout à l'heure."
La maison, une bâtisse en vois d'un brun passé comprenant un rez-de-chausée et un étage, semblait dater d'un siècle. Une rangée d'abris trapus, vaguement cubiques, se dressait à l'arrière.
"Le zoo, dit Les. Des lions, des tigres et tout ça.
- Tu parles!"
Il s'arrêta devant la maison silencieuse et vit l'homme au Stetson s'arracher au siège poussiéreux de sa camionnette et sauter du marchepied.
"Je vais vous chercher votre eau", dit-il avant de l'élancer vers la maison. Il se retourna au bout de quelques pas. "Le zoo est derrière", ajouta-t-il avec un  mouvement de la tête. [...]


Éditions J'ai Lu SF - 508 pages