François-Xavier, dit Franx, est un père de famille visionnaire qui a créé le Feu de Dieu. Une vieille ferme isolée du Périgord Noir transformée pour servir d'Arche de Noé et dans laquelle il a emménagé avec d'autres familles ayant foi dans ses prévisions. Du moins, au début. Car l'ambiance se délite, les uns et les autres partent jusqu'à ce qu'il ne reste que la famille de Franx et le Grax, Jim de son vrai nom, sorte d'humain nuisible qui va prendre la tête de la petite communauté.

Tout irait bien, si seulement la fin du monde s'était déclarée en lieu et dates. Mais voilà, avec un peu d'avance, elle chamboule tout. Franx est à Paris, à 500 kilomètres des siens, obligés de se serrer les coudes face au Grax. Et lorsqu'il entreprend le voyage de retour, à pied, il se retrouve à devoir traîner une fillette de cinq ou six ans, apparemment muette. Et tout ça parce qu'il a promis à sa mère mourante de lui trouver une famille.
Non, vraiment, plus rien ne va.

Le dernier roman de Pierre Bordage se lit... comme du petit lait.
Maître dans le domaine des mondes imaginaires, un des chef de file de la SF « à la française », il se lance dans un scénario catastrophe digne des grands maître du genre.
Rythme et suspense se mêlent et s'entremêlent. Les sentiments naissent et se croisent, s'affrontent parfois dans cette lutte pour la vie dans un monde en déliquescence.

Franx et la fillette sont deux figures de proue dans un paysage qui tient du lunaire, où la température chute jusqu'à des – 50°c. et où l'obscurité règne. Neige et cendre tombent de concert et le lecteur suit les péripéties de ce voyage complètement fou avec avidité.
Dans le Feu de Dieu, l'ambiance n'est pas moins électrique. Le Grax est le nuisible de service. Nécessaire dans quelques situations désespérées mais un fléau social dès qu'il n'a plus de but. Alice, Zoé et Théo, la femme et les enfants de Franx, sont eux aussi en pleine recherche d'eux même. Entre une fille en passe de devenir femme et qui tente d'égaler Anne Franck et un jeune garçon qui n'arrive pas à prendre sa place d'homme, Alice doit maintenir la cohésion familiale et s'efforcer de croire malgré tout, malgré sa conviction profonde que tout est fini. Alice, où l'art d'aller au bout de soi et du sacrifice pour les siens.

L'écriture est toujours un véritable régal à lire. Les chapitres s'enchaînent sans que l'on s'en rende compte et le doute s'insinue au cours de la lecture. L'identification à Franx a pour moi été complète. Et le doute. Sur la réussite du périple, sur la nécessité de se battre quand il serait tellement plus simple de fermer les yeux... Et subtilement, le message d'espoir que Bordage distille dans tous ses ouvrages prend place. Et subtilement on y croit, on s'accroche, on est avec Franx et la fillette, les encourageant à aller plus loin, toujours. Jusqu'à la fin.

Un roman fort, servi par un style fluide et très profond, amenant les thèmes chers à Bordage qui sont l'amour, le sexe, la compassion, le don de soi... l'humanité en quelque sorte. Un roman coup de poing qui nous met face à nous même. Le tout dans un décor apocalyptique.

Du même auteur : L'Enjomineur, Porteur d'âmes, Les guerriers du silence, Abzalon, Orchéron, Les derniers hommes, L'Évangile du serpent, Les fables de l'Humpur

Lire aussi l'interview de Pierre Bordage sur Biblioblog

Par Cœur de chene

Extrait :

Des hommes et des femmes s'agglutinaient à présent de chaque côté de Franx et levaient des yeux inquiets sur le ciel, des piétons, mais aussi des cyclistes, leur vélo à la main, et des automobilistes descendus de leur voiture.
« Ils ont dit à la radio qu'il se passait des trucs bizarres, murmura une femme.
- Une baisse brutale de l'activité magnétique », précisa un homme.
Le flot des véhicules s'était figé sur le pont. Curieusement, plus personne ne songeait à klaxonner. Franx perçu un long frémissement sous ses pieds. Ce n'étaient plus des risées qui agitaient la surface hérissée de la Seine, mais des remous, des tourbillons aux cercles de plus en plus amples, de gigantesques bondes s'ouvraient dans le fond et aspiraient l'eau. Ballottées, les vedettes du Pont-Neuf se tamponnaient violemment. Une deuxième salve d'éclairs violets, jaunes, verts, beaucoup plus longue que la précédente, illumina la frange obscure du ciel. Des phénomènes magnétiques aux formes et aux couleurs somptueuses, comparables aux aurores boréales. Franx s'efforça de remettre de l'ordre dans le chaos de ses pensées. Regagner d'urgence le Feu de Dieu... Foncer d'abord à l'hôtel, récupérer des vêtements chauds, gagner la gare d'Austerlitz, sauter dans le premier train pour Brive avant qu'il ne soit trop tard... Il ne parvenait pas à détacher son regard du spectacle fascinant qui se jouait au-dessus de Paris, et probablement dans d'autres régions du monde. La Seine avait baissé d'un mètre en quelques minutes. Le temps paraissait suspendu, la ville pétrifiée.
Le fleuve se vida tout à coup dans un bruit prolongé de succion, l'eau s'évanouit à une vitesse sidérante, comme aspirée par la gueule béante d'un monstre, dévoilant un lit tapissé d'une végétation luisante et de poissons frétillants, des bateaux se retrouvèrent plantés dans la vase, d'autres se renversèrent dans un fracas de bois et de vitre brisés.

Le feu de Dieu
Éditions Au Diable Vauvert - 492 pages