Iain Levison vient de finir ses études universitaires de Lettres. Plus léger de 40 000 dollars, il entre avec moult espoirs dans la vie active. Mais Iain, se rendant compte que son diplôme ne lui est d'aucune utilité, va enchaîner les "petits jobs" : poissonnier en super-marché, livreur de gaz-oil, démarcheur, assistant de déménageur, cuisinier dans une chaîne de restauration etc. Au total, Iain Levison aura accumulé plus de 42 jobs en une décennie....
La première étape de ce parcours du combattant est bien évidemment le décryptage des petites annonces. L'auteur prend un malin plaisir à décoder pour nous les formulations prometteuses et mensongères, les annonces attrape-nigauds, les offres d'emploi qui se révèlent être des formations hors de prix etc. Quand il trouve enfin un boulot qui pourrait faire l'affaire, Iain déchante rapidement : un volume horaire démesuré, un salaire de misère, des conditions de travail déplorable. Au milieu de ses diverses expériences, Iain Levison part en Alaska pour travailler 6 mois dans les caves d'un bateau-usine. Ce témoignage est plus détaillé que les autres mais tout aussi effrayant. 

Comme il ne s'agit pas d'une fiction mais d'une autobiographie, il ne faut pas s'attendre à une intrigue au rythme soutenu ; Tribulations d'un précaire est avant-tout le témoignage d'une époque et d'un modèle économique. Et en tant que tel, ce livre est édifiant, surtout qu'en France, la situation depuis quelques années est assez similaire (sécurité sociale et assurance chômage mis à part). Quand on sait qu'aujourd'hui la France compte plus d'un million de travailleurs pauvres (soit 15% des actifs), il y a de quoi se faire du souci. Un travailleurs pauvre - pour ceux qui l'ignoreraient encore - est une personne qui, bien qu'ayant une activité professionnelle, a un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté (800 €uros par personne). Ce sont toutes ces personnes qui acceptent des contrats précaires-sous-payés-à temps partiel, que l'on ne compte pas parmi les demandeurs d'emploi mais qui aujourd'hui ne parviennent plus à vivre décemment. Alors, oui, j'ai reconnu beaucoup de situations dans le récit de Iain Levison, et malgré tout, Tribulations d'un précaire n'est pas un simple cahier de doléances. Iain Levison parvient à dénoncer cette logique financière au détriment de l'humain, avec un grand sens de l'humour et de l'autodérision. Et c'est pour cela qu'on le suit avec plaisir dans son périple.

Voir les avis de Cuné, François, Brume, Kattel, Kathel, Michel, Laurent et Joëlle.

Laurence

Extrait :

Plus je voyage et plus je cherche du travail, plus je me rends compte que je ne suis pas le seul. Il y a des milliers de travailleurs itinérants en circulation, dont beaucoup en costume cravate, beaucoup dans le construction, beaucoup qui servent ou cuisinent dans vos restaurants préférés. Ils ont été licenciés par des entreprises qui leur avaient promis une vie entière de sécurité et qui ont changé d'avis, ils sont sortis de l'université armés d'une tapette à mouches de quarante mille dollars, se sont vu refuser vingt emplois à la suite, et ont abandonné. Ils pensaient : je vais prendre ce boulot temporaire de barman / gardien de parking / livreur de pizza jusqu'à ce que quelque chose de mieux se présente, mais ce quelque chose n'arrive jamais, et c'est tous les jours une corvée de se traîner au travail en attendant une paie qui suffit à peine pour survivre. Alors vous guettez anxieusement un craquement dans votre genou, ce qui représente cinq mille dollars de frais médicaux, ou un bruit dans votre moteur (deux mille dollars de réparations), et vous savez que tout est fini, vous avez perdu. Pas question de nouveau crédit pour une voiture, d'assurance maladie, de prêt hypothécaire. Impensable d'avoir une femme et des enfants. Il s'agit de survivre. Encore y a-t-il de la grandeur dans la survie, et cette vie manque de grandeur. En fait, il s'agit seulement de s'en tirer.


Éditions Liana Levi piccolo -  187 pages