Le roman raconte une histoire d'amour dans le monde de la musique classique. Le narrateur, Michael Holme, est second violon dans le Maggiore, un quatuor à cordes londonien. Dix ans plus tôt, dépressif, en conflit avec son professeur de violon, il avait abandonné Vienne et Julia, une pianiste qui jouait avec lui dans un trio. À l'issue d'un concert du Maggiore, Julia vient le voir en coulisses. Julia s'est mariée, est mère d'un garçon, mais elle renoue avec l'homme qu'elle n'a cessé d'aimer passionnément. Malgré la surdité dont elle souffre depuis quelques années et qu'elle cache, elle continue sa carrière de pianiste.

Le début du roman est ancré à Londres. Il m'a plu de suivre Michael lors de ses marches dans la ville et ses rendez-vous du samedi matin avec les nageurs de la Serpentine. Le narrateur est particulièrement attentif aux divers sons de la vie de tous les jours, un plaisir dont est privée Julia. Au moins peut-elle rappeler à sa mémoire le souvenir de les avoir entendus jadis.

J'ai vraiment a-do-ré ce roman qui fait découvrir le quotidien d'un ensemble de musique de chambre, ce qui se passe entre deux concerts, l'attachement d'un musicien à son instrument, bref, ce qui ne vient pas naturellement à la connaissance d'un simple mélomane. Quand ils commencent leurs séances de travail, Piers (premier violon), Michael, Helen (alto) et Billy (violoncelle) jouent la gamme, un rite qu'ils ne partageraient pas avec le premier instrumentiste venu et qui renforce leur cohésion. Le roman montre d'autres situations où l'harmonie peut se créer, et aussi, comment la discorde peut naître. Les musiciens échangent des réflexions et des anecdotes sur bon nombre d'œuvres. Elles concernent principalement des compositeurs que j'aime, Bach, Beethoven, Haydn, Schubert, ce qui m'a fait les apprécier encore davantage. Il sera notamment question de la curieuse idée de faire jouer L'Art de la fugue par un quatuor à cordes (ce que j'ai déjà vu faire par des ensembles de violistes, mais ils ne jouaient pas le cinquième contrepoint pizzicato !), du quintette La Truite de Schubert, d'un trio de Beethoven, sans oublier le chant de l'alouette. L'humour de Vikram Seth, s'il est moins apparent que dans ses autres textes, trouve matière à s'exprimer sous la forme de persiflages ciblant par exemple Brahms, Schumann (le mauvais Schu-) ou la musique contemporaine : Laissez-moi vous présenter à Zensyne Church. C'est lui, là-bas. Il vient d'écrire un merveilleux morceau pour baryton et aspirateur..

Ainsi, ce roman, qui est loin de se contenter de faire quelques petites références à des œuvres, si possible assez connues pour ne pas perturber le lecteur, est un roman sur la musique ; mais c'est aussi le roman d'un amour auquel la surdité se mêle. Ces deux tendances coexistent dans ce roman, en alternance, en opposition ou à l'unisson. Je dois admettre que la deuxième était à un moment donné juste sur le point de commencer à m'ennuyer quand j'ai retrouvé avec un plaisir non dissimulé la première, comme un auditeur retrouverait son concertant préféré après un long silence.

Si on pourrait considérer comme allant de soi qu'un Indien écrivît le formidable roman Un garçon convenable sur l'Inde vers 1950, dans lequel les musiques classiques indiennes trouvaient naturellement leur place, il me paraît impressionnant qu'il ait su autant s'imprégner de la culture européenne pour en aussi bien parler.

Voir aussi l'avis d'Agnès. Je signale également l'existence de l'album Vikram Seth: An equal music rassemblant quelques unes des œuvres musicales évoquées dans le roman.

Du même auteur : Deux vies, Le lac du ciel, Un garçon convenable, Arion and the Dolphin, The Golden Gate

Joël

Extrait :

Sans me laver, avec encore sur moi les traces de la Serpentine, je mets le disque. La musique du quintette emplit la pièce : si familière, tant aimée, si différente pourtant, enchanteresse et troublante. Depuis le moment, dix mesures après le début, où ce n'est pas le piano qui répond au violon, mais le violon qui se répond à lui-même, jusqu'à la dernière note du dernier mouvement, où le violoncelle, au lieu de jouer la tierce, soutient de sa note la plus basse, la plus résonante, la plus ouverte l'accord de do majeur si merveilleusement retardé, je suis plongé dans un monde où je crois à la fois tout et ne rien connaître.

Mes mains jouent ma partie du trio en ut mineur tandis que dans mes oreilles chante le quintette. Ici, Beethoven me dérobe ce qui m'appartient, pour le donner à l'autre violon ; là il me lègue ce qu'il y a de plus sublime, que jouait Julia. C'est une transcription magique. Je la réécoute, du début à la fin. Dans le deuxième mouvement, c'est le premier violon — qui cela pourrait-il être d'autre ? — qui chante le thème du piano, et les variations acquièrent une distance étrange, mystérieuse, comme si, transférées d'un degré, elles devenaient les variantes orchestrales de variations, mais avec des changements d'accords que l'orchestration seule ne peut expliquer. Il faut que je joue cela avec le Maggiore, il le faut. Si nous nous contentons simplement de le jouer pour nous, avec l'appoint d'un ami alto, Piers acceptera sûrement que, pour une fois, je sois premier violon.

Quatuor
Éditions Le Livre de Poche - 478 pages.
Traduit de l'anglais par Françoise Adelstain.