Chaque chapitre est donc consacré à l'un de ses hommes, en commençant bien sûr par celui sans qui rien ne serait, son père. Ce chapitre, le plus dur peut-être, montre toute la souffrance de l'enfant face au rejet de son créateur. « J'étais condamnée à vivre et à consigner, avec une rigueur de comptable, toues les soustractions de l'amour d'un père ». Ce manque, cette absence, au lieu d'anéantir la jeune Malika, va lui permettre de nourrir sa soif d'ailleurs : avec les livres d'abord, dans lesquels elle se plonge à corps perdu, avec la scolarité qui lui permettra de s'éloigner du foyer familial. Seule fille dans des classes exclusives de garçons, elle poursuivra ses études jusqu'en médecine et traversera la Méditerranée pour exercer sa profession en France, où elle vit encore aujourd'hui.
Malika Mokeddem évoque donc naturellement la situation de femmes dans son pays, l'Indépendance, les années de terreur et d'attentats, les relations ambiguës qu'elle entretient avec sa terre natale, le besoin vital et salutaire que représente pour elle l'écriture.
Mais la particularité de cette autobiographie est qu'au lieu de se placer au centre de sa narration et de dérouler un fil chronologique, Malika Mokeddem nous parle d'elle à travers ceux qui l'ont accompagnée. Ils sont au centre de son écriture et chacun des portraits, malgré la rudesse de certaines situations, est emprunt de douceur et de respect. Bien sûr, il y a ceux qu'elle a aimés et qui l'ont aimée : des blonds (Kabyle ou Canadien); des histoires impossibles car contraires aux traditions; ce Français dont elle a partagé la vie pendant plus de 18 ans; et ceux qui ne sont pas encore mais seront un jour. Mais l'éventail de ses hommes ne se limite pas à ceux dont elle a ou non partagé la couche. Il faut entendre dans ce "Mes hommes", tous les hommes qui ont compté, et notamment ceux qui ont joué cette figure paternelle désespérément absente. Il y a le médecin, qui venait chez elle et s'inquiétait de son anorexie; le photographe, le libraire, des professeurs... Des hommes qui ont su entendre tout l'espoir et la rage contenu dans ce corps de fillette, des hommes qui lui ont fait confiance et l'ont aidée à se construire. En fait, en filigrane, on perçoit dans cette autobiographie toute la difficulté d'être quand votre propre père ne veut pas de vous. Ces soustractions de l'amour d'un père, Malika Mokeddem les a comblés avec l'amour des autres.
Voir aussi l'avis de Cathe
Laurence
Extrait :
Un jour que je venais de te remettre mon salaire, tu m'as flatté le dos en affirmant : « Ma fille, maintenant tu es un homme ! » J'avais réprimé mon rire devant l'incongruité de cette promotion. Nos disputes ont cessé. Nos échanges aussi. Tu n'étais plus un danger pour moi. Mes combats se livraient ailleurs. Hors de la maison et de la famille. Un fossé s'est creusé, de plus en plus, entre nous. Et de loin et loin, je constatais la mutation de ta peur de moi en peur pour moi. Mais rien n'était jamais dit, mon père.
Le silence entre nous remonte à dix ans avant mon départ de l'Algérie. À mes quinze ans fracassés. J'écris out contre ce silence, mon père. J'écris pour mettre des mots dans ce gouffre entre nous. Lancer des lettre comme des étoiles filantes dans cet insondable opacité.
Je n'ai que cette vie-là, mon père. Moi, je ne crois pas en l'éternité pour laquelle tu pries.
Je t'ai quitté pour apprendre la liberté. La liberté jusque dans l'amour des hommes. Et je te dois d'avoir toujours su me séparer d'eux aussi. Même quand je les avais dans la peau. Lorsque l'amour s'emmure en prison, vire en amertume, en jalousie, je déguerpis. Je ne veux pas renoncer à en attendre le meilleur.
Éditions Le Livre de Poche - 218 pages
Commentaires
jeudi 28 mai 2009 à 15h19
Un livre repéré à sa sortie, il sort en poche tant mieux je note et en plus si tu as aimé alors
jeudi 28 mai 2009 à 17h33
Il a l'air très beau, je le note.
vendredi 29 mai 2009 à 08h48
Malice : en fait il est sorti en poche il y a plus d'un an maintenant puisque je l'avais acheté à la Comédie du Livre de 2008.
Stephie : j'espère qu'il te plaira
samedi 30 mai 2009 à 18h08
C'est un livre que je note car le sujet m'intéresse beaucoup ... Cette société algérienne et les relations entre les filles et leurs pères m'attirent.
dimanche 31 mai 2009 à 09h07
Nanne : tout le roman ne tourne pas autour de la société algérienne puisque Malika Mokeddem a passé une bonne partie de sa vie en France, mais bien sûr son éducation a fortement influencé son existence, et cela se ressent dans ce livre.
mercredi 15 décembre 2010 à 17h30
super roman ,je suis algérienne je peux donc comprendre les nuances entre les paroles ,j'ai eu la même éducation ,peut être que ma chance à moi est d'être d'une génération plus libre mais comme l'auteur que je respecte j'ai vu cette amertume des traditions dans les vies de ma mère et ma grand mère et pareil que l'auteur j'ai pris la solution la plus évidente partir étudier la médecine en france ...
mais je tiens à dire que grâce à ce non respect d'un silence qui va jusqu'au mutisme les choses changent ,la preuve je suis venu en france sans avoir créé une déchirure qui n'a pas lieu d'être ,alors merci à toutes les malika mokkedem ,leur courage nous a élargie bien des horizons...