Pour situer l’univers du livre, je pense aux films de John Cassavetes, à ces moments de ruptures, de crises intimes, à ces quotidiens rampants que l’on tente de fuir dans l’alcool, la transgression, les sursauts d’orgueil, tout ce qui dévie un peu notre chemin des rails lorsqu’on a, face à soi une locomotive qui fonce à vive allure.
Beaucoup de Vodka, un peu de Gin, de Scotch, et surtout des portraits taillés en phrases courtes, d’hommes et de femmes dans la tourmente, dans le renoncement, en marge. Touchants ou salauds, ces humains sont décrits dans leurs errances, dans leur chaos, et les nouvelles cognent en quelques pages.
Elles ne s’adressent pas à tout le monde. J’ai pensé à Fante, et à Djian pour cette rage mêlé de tendresse, à Carver pour ce sens du détail, à Bukowski un peu aussi, et à quelques autres auteurs américains que j’apprécie grandement. Oui, le style de Joseph Incardona m’en a rappelé d’autres. Son premier roman, Le cul entre deux chaises est un hommage clamé à John Fante. On sent que l’auteur colle encore un peu à ses maîtres, mais il se dégage de ce recueil une grande puissance narrative et une économie de moyens qui laissent penser que Joseph Incardona ne devrait pas tarder à sortir du lot. Il a déjà sa propre musique, et les accords sonnent parfaitement à mes oreilles.
Vous croiserez une hôtesse de l’air qui se fond dans la foule anonyme, un boxeur tout droit sorti de pulp fiction, une rousse entre deux âges et son voisin émotif, un fils de pute et sa mère dans un étrange échange, des flics, des transporteurs de fond, un gamin qui arrive dans son nouvel HLM, bref… Entre noir franchement polar et quotidien brisé, Incardona s’intéresse aux planchers des bars, à ceux qui trébuchent, qui s’effondrent, qui se reflètent dans le fond des verres, qui voudraient jouir encore avant de mourir et leur regard est porté vers le ciel, vers le ciel des bars.
Dans l'édition grand format, une très belle couverture vient agrémenter l’ensemble. C’est chez Delphine Montalant, une éditrice aux choix pertinents qui a vu passer dans sa maison quelques auteurs devenus grands.
N’attendez pas que l’auteur explose, si vous aimez les textes secs, nerveux et la description juste d’une humanité en plein désarroi, achetez ce livre, vous m’en direz des nouvelles…
Florent
Il effleura son bras. Elle tressaillit. Sur son lit de mort, elle se souviendrait encore de ses petites mains qui serraient son doigt lorsqu’il avait commencé à marcher.
Il se leva :
- Je vais me coucher
- Petit déjeuner en tête à tête ? proposa-t-elle.
- Super.
Elle le regarda, suspendu sur le temps, entre l’ombre et la lumière :
- Comment elle s’appelle ?
- Tu veux parler de Mélodie ?
Elle se mordit la lèvre pour ne pas sourire, lui prit la main, l’embrassa. Mélodie !... Merde, alors !
- Bonne nuit, Marc
Elle le regarda sortir de la cuisine en traînant ses tennis sur le carrelage. Son visage s’assombrit. Mélodie, petite salope.
Fatiguée, elle se débarassa de ses chaussures, déroula ses bas. Elle dégrafa son soutien-gorge, libéra sa poitrine qui s’affaissait chaque jour davantage. Personne n’aurait pu comprendre. Elle avait donné ce sein à son fils et à des milliers d’inconnus. Ses seins comme deux cailloux fatigués, polis par la paume du temps.
Le niveau de la flasque avait sacrément baissé mais il y avait d’autres bouteilles dans le placard. Plein d’autres.
Éditions Pocket - 145 pages
Commentaires
samedi 30 mai 2009 à 10h51
La référence à Carver me fait hésiter, car j'avais lu un de ses recueils de nouvelles il y a quelques années et je n'avais pas du tout accroché... Mais en même temps, le thème choisi par Incardona me tente pas mal, alors pourquoi pas si je le trouve à la bibliothèque.
jeudi 8 octobre 2009 à 03h34
Ajout...
Paru chez Finitude "Taxidermie" un recueil de nouvelles tout aussi savoureux que celui dont je parlais dans l'article. Un hommage à Carver, à ses vitamines du bonheur, est glissé à l'intérieur, comme quoi, mon article n'était sans doute pas trop à côté de la plaque
Acheté Samedi dernier au salon "Lire en poche" de Gradignan. Je l'ai lu dans la foulée et, encore une fois j'ai été séduit par l'écriture de Joseph Incardona. Un auteur que je vais continuer de suivre attentivement. Pour la petite histoire, je suis allé à ce salon pour "voir en vrai" Jean Vautrin, et comme il était proche de Carver, je lui ai parlé de ce livre qu'il a décidé d'acheter...