Ce train pour Féérie était bien attrayant mais en tournant la dernière page, j'ai pensé : ce n'était pas la bonne heure. En effet, si certaines des treize nouvelles m'ont intriguées, d'autres happées, certaines d'entre-elles m'ont laissé totalement perplexes. Pour celles-ci, peut être que je n'étais pas dans le meilleur état d'esprit pour me plonger dans leur mystère. J'avoue que le style employé par l'auteur, très elliptique, n'a pas arrangé mon souci.
Sans entrer dans le détail de chacune de ces nouvelles, voici quelques unes de mes impressions.

Avec Quand il neige, on entre de suite dans le mystère. La limite entre réel et la féerie, le surnaturel et bien ténue. Fraud, adolescent traînant un mal-être depuis la disparition de son frère, est attiré par une voix, un elfe caché dans le parc proche de chez lui. Un soir où la neige s'annonce, les voix de l'elfe – le même que dans une BD de son père - et celle de son frère disparu mystérieusement, poussent Fraud à les suivre et à entrer dans le bois du parc. Qu'est-ce qui peut encore le retenir ? Un père terne et sa mère hystérique et sur-protectrice. Quand il neige ici, il se passe des choses bizarres.

Dans Les chats des chaudrons, le style employé est nettement moins féerique mais on retrouve encore un personnage en perdition, qui ne s'intègre pas dans la société de consommation, avec des parents qui ne comprennent rien. L'isolement, et puis la dérive. Il perd son job et peu à peu devient SDF. Les hurlements qu'il entend lors de ses déambulations sur les boulevards, les crises qui le terrassent. Il est, il croit qu'il est fée. Mais il faut trouver un endroit où dormir.

Un havre de paix délicatement décoré et accueillant, y en a un pas loin de Bonne Nouvelle. Merde, normalement, je devrais connaître par codeur les adresses des bars branchés... pas celles des foyers pour SDF. Je devrais être étudiant, bordel ! Je devrais...

Un style trop parlé à mon goût pour un sujet pourtant intéressant. C'est comme si on suivait le déroulement des pensées de leur auteur. Un étudiant qui n'étudie plus, qui ne bosse plus ou pas, qui vire SDF. On passe de l'autre côté du miroir, du côté de ceux que l'on croise et que l'on ne regarde même plus dans les yeux.

Our paradise est une histoire trop nébuleuse pour moi. L'auteur adopte un style trop sibyllin ou l'on dit sans dire, un ensemble d'allusions qui fait que j'ai eu du mal à comprendre où l'auteur voulait arriver. L'ambiance est angoissante. On devine des maltraitances – enfin, je crois -, mais pourquoi s'adresser à des fées de la nuit pour se sauver. Etrange. Je n'ai vraiment pas tout compris.

Ensuite, il y a la nouvelle intitulée Cendre/Alexei, celle que j'ai abandonné tant j'ai peiné avec le style. J'ai eu du mal à suivre, à m'y retrouver entre les paroles et aussi les pensées (en italique) des personnages. Qui est Cendre, qui est Alexei ? Toujours ce style déjà utilisé dans Our paradise, avec des phrases très très courtes, sèches, voire même faites que deux ou trois mots. Cela m'a totalement décontenancé. C'est à mon sens exactement le genre d'histoire qu'il ne faut surtout pas arrêter en cours de lecture et vouloir reprendre à un autre moment. On risque de perdre le fil si ténu pour s'y retrouver. J'ai fait cette erreur et cela m'a été fatal.

Le coup de grâce est arrivé avec Première aurore du nord dont la teneur est trop horrible, glauque pour moi. J'ai bien failli totalement abandonné l'ouvrage. Ici j'ai atteint le fond, là où l'espoir n'existe plus. Ou alors je n'ai encore absolument rien compris à l'histoire de cet enfant violé, déguisé en fille par sa mère et déposé sur un trottoir. Puis on suit comme on peut un combat dans une forêt entre la vie et la mort. L'espoir est peut être possible pour l'enfant s'il arrive à prendre le train qui le déposera à April Country.

Heureusement, parmi les treize étapes de ce voyage en Féerie, il y a eu de belles étapes. Comme avec Rêve où l'on croise de bien jolies formules, comme : Il se fait tard : minuit discrètement, vient réclamer son règne.
L'auteur joue au jeu de la boucle : celle de l'écrivain qui rêve son personnage qui lui-même écrit également et rêve d'une fille. Tous les deux dans leur dimension – que l'on peut imaginer commune – font ensemble le même rêve où ils sont tous les deux accompagnés. Ils se promènent sur les branches de l'arbre aux étoiles, celui au-dessus de l'arbre d'éther.
Cette histoire a une tonalité beaucoup plus douce, tendre que les précédentes où les sentiments de peur, d'angoisse, de vengeance sont mis en avant. Ici, le beau, le rêve cristallin prime.

Et puis il y a aussi April, ville dont la principale caractéristique est d'accueillir plus d'échec que de réussites.

April country, on ne voit que ceux qui sont tombés, que l'énergie triste de tous les ratages de l'univers

J'ai aimé l'idée d'une ville où les accidentés, les hommes et femmes perdues pouvaient y trouver un refuge pour se remettre. J'ai aimé aussi la marche de Sandy pour retrouver Sabine, une femme pas comme les autres. Ne la retrouvant pas, il est guidé par Oria, un gamin mi-elfe, vers sa maison au milieu d'un orage. Entre les intempéries, la pluie, le vent et les tours de magie de April, l'ambiance vraiment bien rendue.

Oria connaît tous les pièges de la ville et de ses environs : il avance en évitant les flaques d'encre comme les flaques de boue. Les tours de magie d'April sont ses jouets depuis toujours et la vieille sorcellerie qui traîne dans son atmosphère lui est parfaitement naturelle. C'est un enfant d'ici, qui marche dans un costume de brouillard la journée, et la nuit, sa petite âme guide toujours ceux qui se perdent dans les méandres des rues d'encre.

Mon voyage avec ces nouvelles est comme avec les voyages en train, on traverse bien des villes. Certaines sont jolies, attrayantes et l'on aimerait y revenir pour y rester un peu plus longuement. Pour d'autres, on souhaiterait que le train accélère un peu tant le paysage gêne un peu voire déroute totalement. Pourtant, je suis certaine que notre conductrice de train, Elisabeth Ebory peut nous faire découvrir bien des pays féériques. La musique de certaines expressions semant ses nouvelles a de quoi enchanter et est très évocatrice. Le voyage n'est pas loin quand on lit « sa voix de temps à la pluie ». Je reprendrais bien un nouveau train... certaines escales en moins.

Dédale

Extrait :

Rêve

Je regarde les arbres par la fenêtre.
Tous les soirs, je regarde et je rêve. J'attends que passe dans les branchages quelque chose comme un oiseau, une fée – ou un Peter Pan – pour m'emmener.
Assise à mon bureau, le nez collé aux vitres, je m'évade, puis je consigne mes évasions sur papier. Devant moi, il y a toujours des dizaines de feuilles, enluminées de hiéroglyphes tracés à l'encre bleue délébile : on croit que je résous des équations. On me laisse en paix. On me laisse, sans le savoir, à mes rêveries : c'est précisément ce que je veux.
Vingt ans, et seule, toujours, tout le temps...
Mon traintrain est tristement quotidien : bus dans un sens, faculté et mauvais déjeuner, bus dans l'autre sens, me voilà rentrée et j'attends le lendemain qui ressemblera étrangement à aujourd'hui, à hier... à tout le reste.
Pour tuer le temps, j'écris des histoires.
Sur mes feuilles toutes griffonnées, ce soir, la quatrième version d'un scénario bizarre qui ne veut pas me quitter. Qui ne veut pas non plus s'organiser : des personnages étranges passent dans ma cervelle et semblent mécontents du destin que je leur réserve. La Sibérie qui les abrite leur déplaît.
L'un d'entre eux s'appelle Sadko. Depuis peu, il a décidé de raconter lui-même l'histoire... Enfin, j'ai décidé qu'il racontera lui-même sa vie et sa légende – enfin, en fait, je ne sais plus qui décide quoi... Peints en bleu légèrement violet, des « Sadko parle » s'entassent comme des formules magiques sur les parchemins de mes rêves. Tous ces monologues me fatiguent et, pour un peu, je verrais presque les longues arabesques de mes lettres se déploye en serpents noirs, dans l'atmosphère.
Essayant d'éviter leur tourbillon, je regarde par la fenêtre : branchages nus, serres d'oiseaux crispées, lacérant la lumière coude et dorée d'un réverbère. Mon reflet dans la vitre gâche un peu le spectacle : teint terne et cernes en bleu indélébile...
Je suis fatiguée et vilaine.
Il se fait tard : minuit, discrètement, vient réclamer son règne et, dans ma pauvre tête, les arbres dorés me murmurent encore les discours de Sadko, discours sur son frère et sur sa mère, sa sœur cadette, son amoureux et ses problèmes. La fatigue, complice de minuit lui-même, lance à mes yeux un peu de poussière : j'éteins ma lampe et pose ma tête sur les litanies de mon obsession personnelle. Les boucles noires de ma tignasse sont.... je crois... les dernières choses que je vois.


Griffe d'encre Editions - 252 pages