Tout commence à la fin des années 60, avec le jeune Gaspardino. Sa communauté connait la prospérité dans les recoins des Halles de Paris : la viande en quantité et les multiples cachettes dues à l'architecture du bâtiment constituent un véritable paradis sur terre. Mais voilà que les "Gros" (les humains) quittent cette oasis et emportent avec eux la principale source de nourriture. Gaspardino et les siens doivent alors trouver refuge ailleurs. Ce qu'ils ignorent, c'est que ce n'est que le début d'un grand exode...
Avec un style assez dépouillé, Patrick Rambaud nous fait pénétrer dans les sous-sols parisiens et découvrir un monde que l'on ne fait que soupçonner. Comme les humains, les rats ont une vie hiérarchisée et organisée : il y a un chef, des guerriers (les rats alpha) et des esclaves (les rats oméga). Les femelles sortent rarement des terriers et aiment les démonstrations de force de leur congénaires (même si cela est souvent à leur détriment). La quatrième de couverture fait le parallèle entre le mode de vie de ces rongeurs et celui de nos ancêtres préhistoriques. De fait, la violence est omniprésente, chacun est prêt à mourir ou à tuer pour obtenir sa pitance et l'espérance de vie n'excède pas quelques mois. On vieillit particulièrement vite quand on vit dans de telles conditions. Et puis, la communauté trouve refuge dans une cave où la nourriture abonde : les petits n'ont plus besoin de se méfier, les guerriers ne combattent presque plus, et c'est le début de la décadence... Mais une dernière épreuve attend notre famille : le progrès - symbolisé ici par une équipe de scientifiques - va finir d'annihiler l'instinct des rats et les conduire à leur perte définitive.
Cette histoire de rats se lit comme une grande saga. Patrick Rambaud a eu l'intelligence de ne pas la raconter comme s'il s'agissait réellement d'humains : les rares dialogues ne concernent que les Gros et même si l'auteur nous dévoile les pensées de ses rongeurs, ils restent avant tout des animaux et ne se transforment pas en personnages de dessins-animés. L'auteur s'est visiblement beaucoup renseigné sur les mœurs de ces nuisibles et la lecture de son roman est à ce titre très instructive. La visite de la capitale à hauteur de rongeurs est elle aussi fascinante : on redécouvre Paris, ses trottoirs, ses caves, son fleuve etc. et l'on se promet de regarder désormais où l'on pose ses pieds.
Mais ce que j'ai le plus aimé, ce sont les clins d'œil et l'humour qui traverse le récit. On fera par exemple la connaissance d'un certain Œdipe qui tuera son père et fécondera sa mère; ou encore celle d'Hubert qui connaitra une extraordinaire Odyssée peuplée de monstres étranges et fera l'expérience des produits hallucinogènes (voir Paris à travers les yeux d'un rat défoncé au haschisch est tout à fait délicieux). Ces épisodes donnent une saveur toute particulière au roman de Patrick Rambaud et nous rappelle que les rats ne sont que des cousins éloignés. Bien sûr, il faut avoir les nerfs solides et le cœur bien accroché pour pouvoir apprécier cette lecture car - n'oublions pas que les rats sont avant tout des charognards - l'auteur ne nous épargne pas les descriptions des chairs décomposées dont les rongeurs font ripaille. Et le moins que l'on puisse dire c'est que les rats ne sont pas très regardant sur l'origine de la viande : bœuf, poulet, humains et même rats, tout est bon pour assouvir leur appétit, surtout sur la chair a commencé à pourrir. Mais après-tout, n'est-ce pas aussi une caractéristique humaine que de se repaître de la déchéance des siens ?
Du même auteur : L'idiot du village
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Laurence
Extrait :
Une autre nuit, heureusement, les rats pêchent un noyé. Gaspardino l'a trouvé au bas des petits escaliers qui descendent dans la Seine, la tête sur la première marche. Ce noyé a dû flotter longtemps, parce que son visage ne ressemble plus à rien. À ses cheveux, on devine un Gros assez jeune.
Les guerrier vite prévenus accourent, et Martuccio les accompagne : de la viande, l'affaire est importante, le chef se déplace pour rafler la meilleure part. Martuccio se défraîchit, un rat de deux cents jours, voyez-vous, le pelage blanchit, tombe. Il dirige pourtant, il distribue leurs rôles à ses guerriers, les uns dans l'eau, les autres sur les marches glissantes, se retenant par la queue à l'anneau où s'amarrent quelques fois des bateaux à moteur.
A plusieurs reprises les guetteurs avancés signalent en criant une arrivée de Gros. Alors les rats se recroquevillent autour du noyé. De toute façon, lorsque des Gros découvrent un cadavre gardé par un régiment de rats, ils repartent illico, ou s'ils ne détalent pas c'est qu'il flageolent.
Les rats doivent déguster sur place les yeux et les joues, ce qu'ils préfèrent, puis il repartent avec des bouts d'une chair verte et gorgée d'eau qui se détache facilement.
Éditions Le Livre de Poche - 187 pages
Commentaires
mardi 9 juin 2009 à 08h01
Oh, j'aurai dû attendre de finir mon petit déjeuner avant de lire ton billet, surtout sa fin :-))
Sinon, je me note tout de même ce titre sur mes tablettes. Voir Paris autrement, j'aime bien l'idée.
mardi 9 juin 2009 à 08h07
Dédale : si j'ai mis ce passage en extrait, c'est justement pour prévenir certaines âmes sensibles de ce qu'elles trouveront dans ce récit. Mais au-delà des épisodes gores comme celui-ci, j'ai trouvé ce roman assez fascinant.
mardi 9 juin 2009 à 11h12
J'aime beaucoup cet auteur et le sujet me botte bien. Je le note, merci !
mardi 9 juin 2009 à 19h58
ça rappelle le roman "Les Garennes de Watership Down"
de Richard Adams, que j'ai lu en anglais plusieurs fois.