Le commissaire Machado Machado (ainsi nommé car son géniteur était un grand admirateur du célèbre auteur et créateur de l'Académie des Lettres Brésilienne Machado de Assis) mène l'enquête et se trouve confronté à une énigme mettant en déroute son bon sens et sa culture.
En soulevant le panache blanc des académiciens, il met à jour quelques sombres secrets aux limites de ce que la morale réprouve.

Entre humour, satire, érudition et un brin de suspense, ce court roman brésilien est irrésistible.
La galerie de personnages offerte par l'auteur est incroyable (dans tous les sens du terme) mais tellement jouissive.
Dans le sillage du commissaire, nous croisons tour à tour une délicieuse et fougueuse actrice française, un nain tailleur, des diplomates, des « empanachés », la femme d'un ambassadeur, la fille d'un académicien, un « archéologue moderne », un médecin légiste et un reste de secte... Le tout mélangé à la cuiller dans un grand shaker et sans glaçons, s'il vous plaît.

L'écriture est agréable, fine, corrosive parfois mais toujours plaisante. Le style inimitable. L'histoire n'est en fait qu'un prétexte pour l'auteur à jouer avec ses personnages et l'intrigue, bien que tenant la route, ne mérite pas un tel développement. Pourtant, ça passe bien et on en redemande car le plaisir est au rendez-vous.

C'est une découverte due au Prix du Livre de Poche Polar pour lequel je suis juré cette année. Et c'est la première bonne découverte de leur sélection. J'espère que ça ne sera pas la dernière. En tout cas, je vais me procurer l'autre ouvrage de cet auteur que je compte bien suivre. Si le reste est dans la même veine, ça promet quelques soirées fort sympathiques et d'excellents moments de lecture.

Cœur de chene

Extrait :

Le commissaire Machado et Penna-Monteiro, son collègue médecin légiste interrogent un suspect qui se dit être « archéologue contemporain ». Pratiquement, c'est un pilleur de tombes.

Est-ce que mon activité porte tord à la société ? Mes recherches ne concernent que des personnes déjà dépouillées de leurs possessions terrestres. Voyez-vous, je suis une sorte de Robin des Bois métaphysique : je prends aux morts pour donner aux vivants. »
Tant de philosophie à bon marché commençait à fatiguer le commissaire.
« Je commence à perdre patience. Si vous continuez, je vais annuler notre marché !
Soit, mais je dois vous décevoir : je n'ai rien vu de très intéressant. Quand je suis arrivé sur le site de mes fouilles, le tueur était déjà passé à l'acte. Par chance, il ne m'a pas vu. Les ombres des statues m'ont protégé. Il est passé tout près de moi, en chapeau et manteau au col relevé. Un type robuste, plus grand que moi. Mais je ne l'ai pas beaucoup observé, de peur qu'il ne me voie. Cette canaille est partie avec les habits des académiciens. Un butin qui me revenait de droit », gronda-t-il indigné.
Penna-Monteiro intervint avec colère :
« Certainement pas, vampire de cimetière !
Vampire ? Moi ? Je suis un simple négociant en biens posthumes. En outre, les temps sont durs. C'est n'est plus très facile d'exercer l'archéologie contemporaine. Si je continue, c'est par amour de l'art.
Machado admirait son cynisme
« Qu'est-ce qui a changé » ? Les gens continuent à mourir.
Ce sont les familles qui ont changé, cher monsieur. Naguère, les êtres chers étaient enterrés avec leurs bijoux, leurs montres, leurs plus beaux vêtements. Aujourd'hui, pauvres défunts, c'est tout juste si on ne les enterre pas dans le plus simple appareil. Ces rapiats ne dépensent rien pour les tenues mortuaires. Et quand s'offre l'occasion d'explorer un site prometteur, nous en sommes privés par un criminel cruel et opportuniste ! Ce tueur a ôté le pain de la bouche de mes enfants. Maintenant, il ne me reste plus qu'à implorer le secours de la divine Providence. »
Même Penna-Monteiro fut intrigué :
« Vous priez ?
Seulement dans des circonstances extrêmes. En homme pieux et charitable, je demande à Dieu qu'il prenne en pitié et rappelle à lui tel ou tel cardinal malade. Un cardinal assure mon train de vie pour deux ans, car je mène une existence modeste. »
Comme s'il devinait les pensées de ses interlocuteurs, Heroíldo fit un inventaire :
«  La crosse cloutée, la mitre à dorures, la croix d'or sertie de pierreries, le précieux anneau, les escarpins à boucle d'argent... Même les gants blancs et les bas pourpres sont rentables. En conclusion, messieurs, le cardinalat est une bénédiction sans pareille. Un bon cardinal est comme le cochon : tout y est bon, sauf la queue. »
Tenant parole, le commissaire Machado Machado permit à Capanema de quitter le commissariat, évitant ainsi que Penna-Monteiro ne transforme le délinquant en victime.


Éditions Le Livre de Poche - 280 pages