Mais comme Frankenstein, à trop vouloir jouer au démiurge, Marc Lacroix va déclencher une catastrophe à laquelle il ne s'attendait pas : la machine a tellement bien fonctionné, que le voici prisonnier du corps de Zyto, tandis que l'esprit de Zyto est dans le corps du médecin...
Zyto comprend vite son intérêt et prend bien évidemment la place du médecin : pendant qu'il rentre bien tranquillement au foyer où l'attendent Marie, la femme de Lacroix, et leur fil Léonard, Marc se retrouve interné et assommé de médicament, incapable d'expliquer à son entourage la substitution.

Si l'on arrive à dépasser les explications pseudo-scientifiques invraisemblables du début du roman, La Machine est un roman tout à fait honnête. Le rythme est bien tenu tout au long du roman, et l'on suit avec intérêt les différents retournements de situations. D'autant que le prologue du roman (dont les premières lignes sont retranscrites sur la quatrième de couverture) sont suffisamment angoissantes et surprenantes pour que l'on veuille aller jusqu'au bout du récit. Bien sûr, rapidement, grâce à ce même prologue, on se doute de certains éléments, mais cela n'entache pas outre-mesure l'intrigue.
Sans être réellement époustouflant, ce récit propose une réflexion intéressante sur le déterminisme social : Zyto est-il condamné à être un psychopathe ou sont-ce ses rencontres, son parcours qui en ont fait un criminel ? Et de la même façon, Marc, dans le corps de Zyto, deviendra-t-il à son tour un dangereux meurtrier ? Au delà de l'intrigue proprement dite, j'ai aimé tous ces passages où Zyto (dans le corps de Marc) se prend au jeu de la vie de famille : on surprend un sourire, des élans de tendresse. On pourrait même aller jusqu'à dire que Zyto est finalement meilleur père que Marc. Mais est-ce si sûr ? N'est-ce pas le calme avant la tempête ? En tout cas, j'ai apprécié ces passages loins de tout manichéisme, ces grains de sable dans un rouage apparemment simpliste.

Malheureusement, la fin du roman a quelque peu gâté mon plaisir : si le dénouement en lui-même est un peu "too much" et attendu, les 4 derniers chapitres m'ont paru absolument superfétatoires. René Belletto, une fois son intrigue arrivée à terme, se perd dans un épilogue désespérément long et sans réel intérêt narratif. Et c'est toujours on ne peut plus agaçant de se retrouver en fin de course sur une fin décevante.

Laurence

Extrait :

Les deux hommes restèrent silencieux, chacun plongé dans ses pensées. Puis Marc revint à Zyto :
- Pour ce qui est de modifier le fond, d'arriver à décoller de lui, des femmes, et sans doute du monde en général cette image maternelle destructrice...
- Que vous commencez à représenter pour lui en ce moment, mais d'une manière bénéfique ? C'est ça ?
- Oui, Hugues. C'est pourquoi je crains malgré tout d'interrompre le face-à-face au cours des entretiens, et de commencer quelque chose qui ressemblerait à une vraie psychanalyse.
Au début de sa carrière, Marc avait été psychanalyste un an dans une clinique de Fontainebleau, ayant lui-même été analysé durant le temps de ses études par le célèbre Martin Vérapousimila.
- S'il va aussi bien que nous l'espérons, pas de problème, dit Hugues.
- Oui. Mais sinon c'est délicat. Je crois qu'il vaut mieux attendre. Et qu'il sorte de temps en temps. Il ne faut pas le laisser se cloîtrer comme il le fait.
- Je repense à votre hypothèse, elle est épatante, dit Hugues.
- Comment vérifier ? Il faudrait voir fonctionner son esprit de l'intérieur. (Marc se tut un instant, les yeux dans le vague.) En plus, on aurait la certitude absolue de son innocence. Être à sa place un moment. Être un témoin de lui-même, plus complet et plus lucide que lui-même.
- Et oui. Aller faire un petit tour dans sa tête. Un rêve de psychiatre. Impossible, hélas !
- Oui, impossible.
Marc regarda à nouveau le jardin. Impossible ? Il ne pensait pas. Et même, son intention, dans les jours à venir, était précisément d'aller faire un petit tour dans la tête de Zyto.


Éditions Folio -  522 pages