Dans la librairie, trois traductions versifiées se jouxtaient. Mon impression subjective formée d'après les deux premières strophes me fit choisir la traduction d'André Markowicz.
L'histoire ne manque pas de simplicité. Eugène Onéguine, un jeune dandy pétersbourgeois, hérite d'un oncle et s'installe à la campagne. Il se lie d'amitié avec son voisin, le poète Lenski. Deux sœurs, Olga et Tatiana, s'éprennent l'une de Lenski, l'autre d'Onéguine. Eugène préfère sa liberté à l'amour de Tatiana. Lors d'un bal, il danse un peu trop avec Olga, ce qui lui vaut de se faire défier en duel par Lenski. Son ami abattu, il s'éloigne. Des années plus tard, il retrouvera Tatiana mariée à un opulent général et à son tour, il verra son amour repoussé.
Dans ce poème, le récit paraît presque secondaire tant le poète
s'accorde la possibilité de discourir non sans ironie des mœurs, des
ballets de Didelot, des petits pieds des dames, de citer d'autres poètes
russes, de faire allusion à des événements politiques, d'invoquer la Muse
ou la Lune, d'apostropher le lecteur ou bien de demander un congé à la fin
d'un chapitre (la première publication s'étant faite sur plusieurs années,
chapitre après chapitre). Un savoureux exemple : avant de nous livrer la
lettre d'amour de Tatiana à Onéguine, l'auteur rédige en préambule six
sonnets pour nous expliquer qu'elle l'écrivit en français, la langue des
dames au russe trébuchant
et qu'il consent à la traduire quoique
maladroitement.
Rares sont les livres comme celui-ci, capables d'entretenir un tel plaisir de lecture du début à la fin. La traduction d'André Markowicz y est pour beaucoup. Quand on a été habitué aux héroïques alexandrins, lire ces fluides et intelligibles octosyllabes rimés est on ne peut plus agréable.
Si l'influence de la culture et de la langue française est évidente dans
cette œuvre, j'ai cependant regretté que les mots ou expressions en
français dans le texte ne soient que trop rarement marqués comme
tels, l'italique étant utilisé à plusieurs fins.
Du même auteur : Journal secret
Extraits :
XXXII (Chapitre premier)
Oui, seins de Diane et joues de Flore
Ont un grand charme, on le conçoit ;
Mais les petons de Terpsichore
Me charment plus, Dieu sait pourquoi.
Aux yeux ardents ils prophétisent
Des récompenses qu'on méprise
Et, convenus, savent saisir
Le libre essaim de mes désirs.
Je les aime, pensive Elvine,
Sous la nappe, au cours d'un dîner,
L'hiver, devant la cheminée,
Ou au printemps, sur l'herbe fine,
Sur le parquet laqué des bals,
Devant la mer aux rocs fatals.
XVII (Chapitre sixième)
Puis il reprend l'air monotone
Devant Olga, le regard noir,
Mais son courage l'abandonne
Pour lui parler d'hier au soir.
Il pense : “Il faut que je la sauve,
Qu'un lâche prédateur d'alcôves,
Qu'un vil et fourbe séducteur
Ne tente ainsi son jeune cœur ;
Qu'un ver sordide, infâme, n'ose
Ronger cet innocent lilas,
Et que la rose en son éclat
Ne fane, encore à peine éclose.”
Bref, traduisons en mots humains :
― Je tuerai mon ami demain.
Éditions Babel, 379 pages.
Traduit du russe par André Markowicz.
Commentaires
mercredi 29 juillet 2009 à 18h51
Effectivement, les extraits que tu donnes sont très beaux! La poésie me fait toujours hésiter, j'ai du mal à suivre une histoire racontée en vers, mais là, c'est si beau qu'on s'en moquerait presque, de l'histoire!!! La musicalité se suffit à elle-même!
samedi 1 août 2009 à 11h31
Ah zut ! J'ai une version d'eugène Onéguine qui m'attend, mais ce n'est pas celle de Markowicz (l'un des meilleurs traducteurs de russe). Mais j'espère que cela ne gachera pas mon plaisir, après celui ressenti lors de la vision de l'opéra de Tchaikovski il y a presque un an !
lundi 10 août 2009 à 07h43
Pimpi : L'histoire occupe en effet une proportion assez restreinte des strophes. Il n'y a vraiment pas de difficulté à suivre l'intrigue, bien que ce soit en vers. Pour avoir feuilleté le texte russe pour y trouver les mots en français dans le texte, il paraît assez clair que le traducteur a essayé de conserver autant que possible la structure des vers originaux.
Yohan : J'espère que cette autre version te plaira aussi.