Lise a perdu sa mère très jeune. Perdue, oubliée, disparue, effacée, cette mère qui lui a donné la vie et qui est partie trop tôt; tellement tôt que Lise n'ayant pas eu le temps de se forger de souvenirs, ne peut que se raccrocher à la mémoire des autres. Mais autour d'elle, tous se taisent, son père en particulier qui ne dira jamais un mot sur les circonstances de la mort ; mêmes les albums photos ne portent pas trace du passage de sa mère qui était derrière l'objectif. Alors Lise grandit sans poser de questions, malgré l'absence et le vide qui l'envahissent peu à peu.

Tout change avec l'arrivée d'Elsa : pour sa fille, pour ne pas reproduire les schémas, Lise remonte le fil de son histoire, tente de comprendre, de se comprendre pour pouvoir enfin s'autoriser à être mère à son tour. Ce qu'elle ne peut vérifier, elle l'invente, le fantasme, mais sans aucune complaisance. Dès qu'il lui semble basculer dans une mièvrerie collante, elle se reprend, s'engueule et corrige le tir. Pourtant Lise n'a pas manqué d'amour, elle a eu une deuxième maman, aimante et dévouée, mais cela ne suffit pas, ne suffira jamais... L'adulte qu'elle est devenue aujourd'hui, plus âgée que ne l'a jamais été sa propre mère, réalise qu'elle n'a aucun repère et que nombre de ces actes d'adolescente et jeune adulte ont été dictés par cette carence.

Christine Détrez a une écriture délicieuse. Avec une simplicité déconcertante, sans jamais céder à la facilité, elle nous parle de nos racines, de nos constructions internes, des ravages des non-dits mais surtout de notre capacité à changer la donne, à créer à nouveau. Elle mêle et entremêle son récit de réflexions sur le corps, et montre à quel point celui-ci parle pour nous. Pour Lise, ce sera le vertige de la danse et son exigence terrible : le corps qui souffre, craque et n'est plus que douleur ; douleur physique, pour oublier l'autre, plus grande et insondable.

Malgré le sujet et la profondeur du propos, Christine Détrez ne sombre jamais dans le pathos. Bien au contraire, elle réussit cet alliage rare d'une écriture aérienne et puissante à la fois. Par certains aspects (la danse, les rapport à la mère et l'écriture charnelle) ce roman m'a fait penser à Laver les ombres  de Jeanne Benameur ; mais c'est une variation très différente à laquelle nous invite Christine Détrez : ici point de secret terrible, mais la banalité du silence et de l'absence. Et pourtant, malgré un sujet apparemment visité et revisité, Rien sur ma mère est un récit singulier et poignant.
L'écrin est parfois trompeur : avec cette couverture rose bonbon, on pourrait s'attendre à une histoire gentiment mièvre pour fillettes qui rêvent de devenir petits rats de l'opéra, or le parfum contenu dans ce flacon est troublant et bouleversant. Une très belle découverte, et j'espère que Christine Détrez, dont c'est le premier roman, ne s'arrêtera pas en si bon chemin.

Du même auteur : De deux choses l'une

Laurence

Extrait :

Je n'ai toujours glané que des bribes, des lambeaux d'informations, des fétus de paille, cure-dents pour tromper la faim de mots, de paroles, de savoir. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin.
Qu'elle est rapiécée, cette robe de mots que je lui couds, pour enfin, écarter le voile de silence. Qu'ils sont élimés, presque transparents, qu'ils sont mités, et s'évanouissent, inaudibles, dès que je les assemble, ces murmures dont je voudrais la vêtir, afin, enfin, de dessiner les contours de son corps. Ils tombent en poussière, comme ces flacons de verre exhumés des tombeaux du désert pillés par les Bédouins. Juste le temps d'en admirer les couleurs irisées et ils se décomposent au contact de l'air, de la chaleur, de la lumière. C'est mon père qui me l'a dit. Creuser la mémoire, comme on fouille un sol, pour violer les tombes.


Éditions Chèvre-feuille étoilée - 188 pages.