L'année brouillard n'est sûrement pas un thriller haletant. En effet, Michelle Richemond, plutôt que de se placer comme habituellement du côté des enquêteurs et de nous proposer une chasse aux kidnappeurs, s'intéresse à ceux qui restent, à ceux que l'angoisse du pire envahit peu à peu.
Pendant les 500 pages du roman, le lecteur accompagne donc Abby dans sa quête désespérée et ses interrogations sur la mémoire. Car Abby est persuadée que quelque part dans son cerveau, se trouve la clé de cette disparition; un détail, une image que son esprit refoule doivent pouvoir lui permettre de comprendre ce qui s'est passé ce jour-là et de retrouver la fillette. Abby culpabilise d'autant plus qu'elle n'est bien sûr pas la mère biologique de l'enfant et qu'elle sait que Jake ne peut s'empêcher de lui rejeter la faute. Et même quand ce dernier finit par admettre que la fillette ne réapparaîtra jamais, Abby continue ses investigations, jusqu'au déraisonnable, jusqu'au bout du monde....

La narration est volontairement lente, faite de tours et détours incessants. Un peu comme les mécanismes insondables de la mémoire qu'Abby tente coûte que coûte de retrouver. Chaque jour est quasiment identique : distribuer des prospectus, refaire le chemin parcouru le jour de la disparition, interroger des quidams, lire des ouvrages théoriques sur la mémoire...
C'est une lecture assez étrange, car malgré le sujet particulièrement grave, Michelle Richemond parvient à ne pas sombrer dans un pathos gluant (peut-être parce qu'Abby ne cesse jamais d'espérer, et le lecteur avec elle), mais elle a aussi ce tact de ne pas conclure son récit par une happy-end à l'américaine. Sans sombrer dans la tragédie la plus noire, Michelle Richemond nous propose une vision assez réaliste et fidèle à la psychologie des personnages qu'elle a créés.
Je crois que plus qu'un roman sur la disparition, L'année brouillard est une réflexion très intéressante sur le temps et la mémoire. Le rythme volontairement lent est donc tout à fait en adéquation avec le propos, même si bien sûr, c'est justement cela qui rebutera certains lecteurs.

Voir aussi les avis d'Ys, Clarabel, Cuné, Antigone, Majanissa, Cathulu, Kathel et Antigone

Laurence

Extrait :

Je me repasserai ce moment des milliers de fois. Je tiendrai un carnet dans lequel je noterai les détails. Il contiendra de mauvais croquis, des représentations graphiques du temps et du mouvement, des pages et des pages sur lesquelles je tenterai de retrouver le passé. Je prétendrai que la mémoire est fiable, qu'elle ne s'érode pas aussi rapidement et complètement que les lignes brisées d'un dessin sur un télécran. Je me dirai que, enfoui quelque part dans les méandres tortueux de mon esprit, il y a un détail, un indice, une unique et toute petite chose qui me conduira à Emma.
Plus tard, ils voudront savoir à quel moment précis j'ai remarqué qu'elle n'était plus là. Il voudront savoir si j'ai vu quelqu'un de bizarre sur le plage, si j'ai entenu quelque chose dans les instants qui ont précédé ou suivi sa disparition. Ils - la police, les reporters, son père - me poseront les mêmes questions des milliers de fois, leurs yeux remplis de désespoir plantés dans les miens, comme si, par la répétition, ils pouvaient peut-être raviver mes souvenirs, comme si, par la force de leur volonté, ils pouvaient faire apparaître des indices où il n'y en pas.
Voilà ce que je leurs dis, voici ce que je sais : je marchais sur la plage avec Emma. Il faisait froid et le brouillard était épais. Elle a lâché ma main. Je me suis arrêtée pour photographier un bébé phoque, puis j'ai levé les yeux vers Great Highway. Quand j'ai regardé de nouveau vers la plage, elle avait disparu.


Éditions Buchet Chastel -  508 pages