Morag et Heather sont donc deux fées écossaises, ne dépassant pas les 50 centimètres, qui se retrouvent loin de leur prairies natales, catapultées dans la ville de New-York. Elles débarquent ivres mortes dans un appartement de la 4ème rue et commencent par vomir sur le tapis du locataire, Dinnie. Ce dernier, loin d'être "enchanté" par cette visite impromptue, préfère mater les annonces sur les chaines pornographiques et accessoirement jouer du violon. Si ce n'est que Dinnie est "le pire violoniste de New-York". 

De l'autre côté de la rue, Kerry, une jeune femme de 25 ans aux cheveux teints en bleus, tente désespérément de compléter son alphabet des fleurs pour gagner le « Prix de l'Association Artistique du Quartier de la 4e Rue Est » et ainsi se venger de Cal. Cal, qui de son côté a des prétentions de metteur en scène et revisite Songe d'une nuit d'été. Il faut ajouter à cette galerie de portrait hauts en couleurs Magenta, une SDF persuadée de vivre dans l'antiquité, le fantôme de Johnny Thunders à la recherche de sa guitare fétiche, un pavot à 3 têtes qui ne cesse d'apparaître et disparaître, 5 fées anglaises et irlandaises perdues dans Central Park, l'armée du roi Tala à la poursuite de nos deux héroïnes et toutes les fées italiennes, chinoises et africaines de la grande pomme.

En fait, tout aurait pu rentrer dans l'ordre assez rapidement, mais Heather et Morag n'ont pas leur pareil pour se mettre dans la panade, en entrainant avec elles tout leur entourage. Nos deux petites fêlées vont provoquer un nombre incalculable de catastrophes, multiplier les bévues, déclencher une guerre civile, tout ça parce qu'elle n'arrivent pas à passer plus de 5 minutes sans s'engueuler.

Mais qui a dit que les histoires de fées étaient réservées aux sages petites têtes blondes? Sûrement pas Martin Millar qui nous offre ici un roman totalement déjanté et rock'n roll. Même si l'écriture manque parfois d'un peu de liant, on ne peut que se laisser porter par les aventures rocambolesques des deux fées écossaises. Dès la 3ème page, j'ai été prise d'un fou rire incontrôlable.

- Vous sortez d'où vous ? demanda l'écureuil.
Nous sommes des fées, répondit Brannoc et l'écureuil s'écroula de rire sur la pelouse parce que les écureuils de New York sont cyniques et ne croient pas aux fées.

Oui, Heather et Morag sont d'infernales pestes : elles jurent, volent, boivent, mentent etc... et pourtant on se prend rapidement d'affection pour ces deux adorables punaises. Et puis il faut dire que Martin Millar mène son intrigue à un tel rythme que l'on n'a pas vraiment le temps de souffler ou de se poser des questions : les scènes se succèdent sans apparente cohérence mais force est de reconnaître que Martin Millar tisse sa toile avec maestria et ne nous perd jamais en chemin.
Au delà du roman d'aventure, un peu barge il faut bien le dire, Martin Millar en profite pour aborder des problématiques typiquement humaines : le dictat de l'apparence, l'indifférence et l'égoïsme, la soif de pouvoir ou encore la santé puisque Kerry est atteinte de la maladie de Crohn. Et Martin Millar est diablement doué car il réussit à nous raconter les conséquences de ce syndrome (affection inflammatoire chronique de cause inconnue qui peut atteindre tous les segments du tube digestif, mais le plus souvent l'iléon, le côlon et l'anus) sans jamais sombrer dans le trash ou le sordide; mieux que cela, il parvient même à nous faire rire de tout cela.

Vous l'aurez compris, j'ai pris plaisir à lire ce roman farfelu et je suis tombée sous le charme de ces petites fées azimutées. Je ne suis d'ailleurs pas la seule à avoir apprécier, puisque la préface est signée Neil Gaiman et que certaines blogueuses ont déjà fait part de leur enthousiasme. Je vous invite donc à lire les billets de Chimère, Chiffonnette, Karine et Amanda. Mais comme un roman fait rarement l'unanimité, je vous donne aussi les liens des billets de Fashion et Cathulu qui tempèrent ce concert de louanges.

Du même auteur : Kalix, la loup-garou solitaire

Laurence

Extrait :

«  Ne m'adresse plus jamais la parole », dit Dinnie à Heather, qui le trouva vraiment ingrat.
Cela dit, elle avait l'habitude de l'ingratitude. Après avoir passé de nombreuses heures avec Morag en Écosse à mettre au point leur nouvelle technique au violon, à se teindre les cheveux et tenter l'expérience de sniffer de la colle de fées, aucun de leurs deux clans n'avait été très content. Leurs deux mères avaient en fait menacé de les expulser du clan si elles n'arrêtaient pas leur entreprise de perversion de la jeunesse du royaume des fées écossaise. Plus tard, lorsqu'elle demandèrent poliment à Callum MacHardie, célèbre luthier, de bien vouloir leur confectionner des amplis électriques, il les dénonça ni plus ni moins à leurs chefs de clan, les condamnant par là-même à des leçons de morale sur ce qui était ou non convenable pour des fées.
« Gambader dans la prairie, c'est bien, leur avaient dit leurs chefs. Ainsi qu'aider les petits enfants des humains à rentrer chez eux. Ou encore augmenter le rendement laitier des vaches des fermiers amis. Mais une rébellion de la jeunesse à large échelle est tout à fait hors de question. Alors rentrez chez vous et tenez-vous à carreaux. »
Juste après cela Heather et Morag avaient volé au dessus de toute la vallée vêtues de T-shirts peints à la main portant l'inscription "La première des Mohicans-Fées du district", mais personne ne sachant exactement ce que c'était qu'un district, le jeu de mots était tombé à l'eau.


Éditions Intervalles - 301 pages