Primo Levi était chimiste de formation. Un chimiste passionné. La chimie a également influencé son écriture en la rendant sobre, claire, objective presque analytique. Une écriture où la phrase, où chaque mot porte. Une écriture qui va à l'essentiel sans pour autant être rébarbative. Là où certains noient les moments forts ou difficiles sous le pathos, Primo Levi a cette écriture d'analyse pour aller au fond des choses, éclaircir leur mystère. Pourtant, tout cela n'est pas froid ou indigeste, impersonnel. Bien au contraire ! Le tout est superbement écrit.

Le résultat est que sans être chimiste ou avoir fait des études scientifiques, tout lecteur peut suivre ces histoires et le lien que l'auteur fait entre certains évènements de sa vie et les éléments chimiques qu'il utilise pour les illustrer. Un savoir lié à un vécu.

Dans Le système périodique, en référence à la table de Mendeleïev, l'auteur turinois nous parle de ses études de chimie, des rencontres ou moments formateurs pour lui (Azote, hydrogène, fer, zinc), la montée du fascisme et des lois raciales, la clandestinité, son arrestation dans le maquis (Or). Il aborde aussi son expérience du camp d'Auschwitz-Monowitz (Cérium et Vanadium) et la difficulté du retour (Chrome). En décembre 1941, il travaille clandestinement dans une mine d'amiante (Nickel). Durant ce séjour, il rédige ses deux premières histoires courtes, qui seront réintégrées plus tard dans le Système périodique : mercure et plomb.

Et puis il y a aussi Titane, cette délicieuse histoire d'une petite Maria perplexe devant blancheur des meubles peint par Felice. Primo Levi sait nous rendre toute la magie, l'innocence de l'enfance. Je vous en donne un petit extrait juste pour vous allécher. Un pur moment de tendresse et de douceur !

Lors de sa sortie aux Etats-Unis, Le système périodique a été salué comme un « chef d’oeuvre » par Saul Bellow.
A n'en pas douter ! Un livre qui marque car émanant d'un homme rare.

Du même auteur : La trêve, Feuillets épars

Dédale

Extrait :

Dans la cuisine il y avait un homme très grand, habillé d'une façon que Maria n'avait jamais vue avant. Il était coiffé d'un petit bateau fait avec un journal, fumait la pipe et peignait l'armoire en blanc.
Comment tout ce blanc pouvait sortir d'une aussi petite boite était incompréhensible et Maria mourait de l'envie d'aller regarder dedans. De temps à autre l'homme posait sa pipe sur l'armoire et sifflait, puis il cessait de siffler et se mettait à chanter : de temps à autre il reculait de deux pas et fermait un oeil, il allait aussi parfois cracher dans la poubelle et ensuite s'essuyait la bouche du dos de la main. En somme, il faisait tellement de choses étranges et nouvelles qu'il était très intéressant de rester là à le regarder ; quand l'armoire fut blanche, il ramassa la boîte et tous les journaux qui étaient par terre, porta le tout près du buffet qu'il commença aussi à peindre.
L'armoire était si brillante, propre et blanche qu'il était presque indispensable de la toucher. Maria s'approcha de l'armoire, mais l'homme s'en aperçut et dit : « Pas toucher. Tu ne dois pas toucher. » Maria, interdite, s'immobilisa, et elle demanda : « Pourquoi ? », et l'homme répondit : « Parce qu'il ne faut pas. » Maria réfléchit,puis demanda encore : « Pourquoi est-ce si blanc ? » L'homme réfléchit lui aussi un instant, comme si la question lui paraissait difficile, puis il dit d'une voix profonde : « Parce que c'est du titane. » Maria sentit un délicieux frisson de crainte la parcourir : était-ce un magicien ? Mais rien n'arrivait, elle regarda attentivement : l'homme n'avait pas de baguette magique. Alors elle demanda : « Titania ? Où est-elle ? » L'homme la regarda un moment, puis il dit seulement : « Pas Titania, titane. »


Éditions Le livre de poche, Biblio - 252 pages
Traduction de l'italien par André Maugé