Quand Richard, californien de 19 ans, s'inscrit à l'université de Hampden grâce aux bourses qu'il a obtenues de justesse, il rêve d'une vie plus palpitante que celle qu'il a connue jusque-là. Lui qui n'a connu qu'ennui, déception et insatisfaction, espère que cette année de formation donnera un tournant significatif à son existence. Fort de deux ans de grec ancien, il désire suivre cette spécialité, mais son conseiller pédagogique le met immédiatement en garde : Julian Morrow, le seul professeur de grec de l'université est un être un peu à part, aux méthodes d'enseignement très discutables et qui n'accepte chaque année qu'un tout petit nombre d'élèves. Sur le campus Richard repère immédiatement les 5 élus - 4 garçons et une fille, tous issus d'un milieu aisé - et l'avertissement de son tuteur ne fait qu'aiguiser son désir : il intègrera le cours très privé de Julian Morrow.

En devenant élève de Julian Morrow, Richard comprend rapidement qu'il va désormais évoluer dans une sphère en marge du campus universitaire : les élèves du professeur ne se mélangent pas aux autres; excentriques, solitaires, ils entretiennent le mystère et semblent se suffire à eux mêmes. Pourtant, Richard ne se sent pas vraiment intégré à la classe : bien qu'il passe avec eux la majeur partie de ses journées, qu'il participe aux fêtes et aux week-ends qu'ils organisent dans la maison de campagne de Francis, Richard pressent qu'on lui cache le plus important. Jusqu'au jour où....

Avec un tel titre, on aurait pu s'attendre à un récit riche en actions et rebondissements; un thriller se déroulant sur un campus universitaire, comme il en existe déjà tant. Or, Donna Tartt délaisse le spectaculaire pour nous offrir un roman psychologique passionnant et époustouflant. Autant le dire tout de suite, l'intrigue de ces 700 pages pourrait tenir sur un post-it, et pourtant j'ai rarement été aussi captivée par une histoire. J'ai avalé les 300 premières pages d'une traite sans m'en rendre compte (ce qui est déjà un exploit quand on sait combien certains romans de 120 pages nous paraissent désespérément longs), et je n'avais qu'une envie : continuer de découvrir un peu plus les personnages qui sont au centre de ce récit. Car c'est là que Donna Tartt révèle tout son talent : avec une écriture très élégante, elle détaille toutes les étapes psychologiques d'une initiation pleine de danger.
Ses héros sont entre l'adolescence et l'âge adulte, une période charnière où les décisions qu'ils prendront auront des conséquences irréversibles sur leur avenir. Leurs contours sont encore un peu flous, leur personnalité encore changeante mais on sent déjà chez certains une attraction malsaine pour le pouvoir et la manipulation. Au milieu de ce groupe d'amis, Richard qui fantasme sa vie et celles de ceux qui l'entourent, semble particulièrement fragile. N'est-il pas finalement qu'un jouet de plus entre les mains d'enfants gâtés ?

En dehors de l'épisode dans le Connecticut (qui ma paru un peu longuet et inutile) j'ai savouré chacune des pages de ce roman initiatique. Tous les protagonistes ont su me toucher et m'émouvoir, même Henry, sans doute le plus trouble d'entre eux. Contrairement à Françoise Giroud qui les trouvent "terrifiants d'égoïsme et de férocité" j'ai surtout vu des jeunes gens perdus, qui tentent de combler le vide de leur existence par des expériences excitantes et dangereuses. Ils sont à l'âge où l'on croit que tout est possible, où l'on se croit éternel et où on mélange fiction et réalité. Malheureusement pour eux, ils ne sont pas dans un film et ils réalisent trop tard les conséquences de leurs actes. Entre amour, haine et jalousie, Donna Tartt tisse une toile ensorcelante et on sort de cette lecture peu sonné, tout étonné encore d'avoir lu si vite ces 700 pages, mais irrémédiablement marqué par l'ambiance inquiétante et fascinante dans laquelle baigne cette histoire.

Laurence

Du même auteur : Le chardonneret.

Extrait :

Après le cours, j'ai descendu l'escalier dans un rêve. La tête me tournait, mais j'avais une conscience aiguë, douloureuse, d'être jeune et en vie par une journée magnifique ; le ciel était d'un bleu profond, intense, le vent éparpillait les feuilles jaunes et rouges dans un tourbillon de confettis.
La beauté c'est la terreur. Ce que nous appelons beau nous fait frémir.
Ce soir-là, j'ai écrit dans mon journal : «  Maintenant les arbres sont schizophrènes et commencent à perdre contrôle, enragés par le choc de leurs couleurs nouvelles et ardentes. Quelqu'un - est-ce Van Gogh ? - a dit que l'orange est la couleur de la folie. La beauté, c'est la terreur. Nous voulons qu'elle nous dévore, et nous cacher dans ce feu qui nous purifie.»


Éditions Pocket -  706 pages