Une descente aux enfers donc et la nausée vous viendra presque toutes les pages à lire toute la panoplie des sévices corporels, humiliations, travail harassant que vont subir Semba et les autres pièces de guinée embarquées dans le bateau qui fait la navette entre le Portugal, l'Afrique puis le Brésil. Le dégoût à la lecture des motivations, les propos pour justifier le trafic du bois d'ébène. L'imagination était grande chez l'élite blanche du brésil, les négriers, tous ceux qui sont partie prenante ou qui profitent de près ou de loin de ce trafic. Âmes et cœurs sensibles, s'abstenir !

Le portrait de l'élite lisboète au Brésil est saisissant d'autant plus qu'il est basé sur des faits réels. C'est l'ignominie humaine à l'état pur. Tous les vices et toutes les déviances, sadisme et perversions développés sur le riche terreau du Brésil se sont joués à plein. Sous couvert que les nègres n'ont pas d'âmes et qu'ils ne sont donc que des animaux, ils sont traités encore moins bien que l'âne ou le bœuf qui tirent les charges ou que les indiens natifs, les jaunes.

Au XVIIème siècle, l'aristocratie brésilienne dégénérée par les excès en tout genre, se croit l'élite, le fin du fin de la société portugaise en terre d'Amérique Latine. Elle est soutenue dans cette croyance par un clergé qui ne vaut guère mieux.

Il faut avoir le coeur bien accroché quand on se lance dans la lecture de Zumbi. Je ne pense pas que l'auteur en ait rajouté dans les descriptions des horreurs, sévices et autres tortures ou châtiments infligés aux nègres. Ces traitements ignobles subis du moment de leur capture dans les profondeurs de l'Afrique jusqu'à leur misérable vie - peut-on qualifier cela de vie ? - auprès de leurs propriétaires, souvent jusqu'à ce que mort s'en suive. Parfois, certains pouvaient gagner ou racheter leur liberté, mais c'était chose tellement rare.

Le soutien, l'amitié de Macango pour Semba et puis Ernesto, le nègre blanc, Damiana et toutes les autres rencontres qu'il a pu faire l'ont aidé à survivre et même l'ont sauvé du pire, de la mort.

Dans cet enfer, il y a encore l'Espoir, l'idée de Liberté. Cette petite graine est lovée dans le cœur de chaque nègre, chaque être humain. Pour retrouver sa dignité, il faut s'évader et tenter de rejoindre la forêt, passer les limites de la Barriga. Là, vivent des milliers d'hommes et de femmes, nègres, indiens, blancs pour qui la liberté et la révolte sont plus fortes que tout. Il faut rejoindre coûte que coûte Zumbi, « Le Dieu-de-la-Guerre », celui qui sait résister aux Portugais.

Il faut rejoindre les quilombos des Palmares. Dans ce lieu vécu comme le paradis sur terre, tous peuvent marcher droit, regarder les autres droit dans les yeux, dire ce qu'il pense, vivre, vivre réellement sans craintes du fouet. Et surtout vivre libre !

Cette saga sur l'esclavagisme et cette part sombre de l'histoire du Brésil est captivante tant elle est bien écrite. J'ai lu cette histoire en trois jours tant j'avais envie de savoir si Semba et ses amis allaient ou non réussir à se sortir de cet enfer. De plus, l'auteur parle de façon si passionnée du Brésil, de son histoire, de sa population si mélangée, cette richesse des métissages que l'on dévore les presque cinq cent pages sans s'en rendre compte. Car c'est un pays qu'il connaît bien puisqu'il y retourne régulièrement depuis vingt ans. Et cela se sent.

Dédale

Extrait :

Soudain, le paradis dans lequel Semba avait toujours vécu vola en éclats. Tout se passa par une douce matinée de printemps, alors qu'il se dirigeait vers un point d'eau dans l'espoir de débusquer une antilope. Le carquois de cuis solidement arrimé dans le dos, son arc à la main, ses pieds faisant voler un léger nuage de poussière à chaque pas, il sentait sur son corps le soleil d'Afrique l'envelopper de ses rayons. Un moment, il s'était arrêté et avait souri de bonheur. A ses pieds, moutonneuse et parfumée, la savane africaine roulait dans un flot immobile son immensité végétale, son espace qui courait, lui avait-on assuré, jusqu'à ce fleuve gigantesque que les griots nomment océan et qui borde la fin du monde. Avant de reprendre sa marche, Semba avait prié et expliqué tout haut avec une grande douceur à l'antilope qu'il tuerait, qu'il ne le ferait que parce que cela lui était indispensable de le faire. Après s'être recueilli, il demanda pardon et, satisfait, il se remit en route.

Ce fut à cet instant-là, exactement à cet instant, qu'il entendit dans son dos les premiers hurlements de terreur monter de son village. En quelques secondes, ce furent tous les membres de sa tribu qui se mirent à crier dans une rafale de coups de tonnerre que semblait décocher un ciel pourtant vierge de tout nuage. Lorsqu'il fit volte-face, il comprit. Dans un désordre indescriptible, les femmes, les hommes, les enfants et jusqu'aux vieillards, tous s'étaient mis à courir, les bras levés vers le ciel, le visage déformé par l'angoisse et l'incompréhension, les yeux extatiques cherchant un lieu pour se protéger des démons qui venaient de surgir et les prenaient en chasse. Ceux-ci, le visage et le corps blanchis de peintures guerrières, certains bondissant à pied, d'autres caracolant sur des chevaux écumants, lançaient sur leurs proies de longs filets qui les enveloppaient et les jetaient à terre, entravés, prisonniers, vaincus.


Éditions Buchet-Chastel - 471 pages